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CAGE JOHN (1912-1992)

La tentation de l'Orient

Le concert du 7 février 1943 au Musée d'art moderne de New York avec Merce Cunningham, concert qui va imposer Cage dans les milieux de l'avant-garde, comporte la création de la suite Amores – deux pièces pour piano préparé et deux pièces pour trio de percussions – où s'expriment « l'érotique et la tranquillité, deux des émotions permanentes de la tradition de l'Inde ». Quand, en 1945, Cage s'installe à Monroe Street, il entreprend l'étude de la musique et de la pensée de l'Inde avec son élève en contrepoint, Gita Sarabhai, et devient pour deux années l'auditeur du Daisetz Teitaro Suzuki à l'université Columbia : ce dernier lui révèle le zen. Après le ballet The Seasons et la musique du film de Richter Dreams that Money Can Buy (1947), Cage, qui a lu la Dance of Shiva, de Coomaraswamy, « met en musique », dans les Sonates et Interludes pour piano préparé, les « neuf émotions permanentes » de la tradition de l'Inde. Le tournant est pris : dans la conférence Defence of Satie, prononcée l'été 1948 à Black Mountain College, Cage oppose aux musiques d'Occident, inféodées à la seule dimension harmonique, les musiques d'Orient qui ont su, par la subtilité du traitement qu'elles consentent au temps, sauvegarder, face au son, le silence. C'est l'idéal d'« interpénétration sans obstruction » de Suzuki : nul son ne doit faire obstacle à nul autre, non plus qu'à nul silence ; sons et silences peuvent alors s'interpénétrer. Le temps, c'est cette interpénétration même, racine de toute musique. Erik Satie et Anton von Webern ont réhabilité le temps : ils ouvrent la voie de la musique « vraie », qu'un Beethoven ne pouvait qu'occulter... Cette thèse, bien sûr, fait scandale. Mais le scandale n'émeut guère Cage, qui a trouvé sa voie, et peut-être la voie. Après un premier voyage en Europe (1949), il élabore, en contraste avec les idées de Boulez, une méthodologie de la dé-construction de l'œuvre : avec David Tudor, Morton Feldman, Christian Wolff et Earle Brown, il compose ses premières partitions « inexpressives », et introduit dans ses œuvres les premières procédures de hasard – moyen le plus commode de désarçonner la toute-puissance de la subjectivité et de faire de la musique un exercice d'éveil. Successivement, après les Sixteen Dances et la Music of Changes pour piano (1951), il écrit les Imaginary Landscapes no 4 (pour douze radios) et no 5 (pour bande magnétique), la Music for Carillon no 1 et la première « composition silencieuse », 4'33'' (1952). Surtout, il profite d'un nouveau séjour à Black Mountain pour faire représenter un event dénué de titre, au cours duquel Merce Cunningham, Robert Rauschenberg, David Tudor, et les poètes Charles Olson et M.-C. Richards se joignent à lui pour juxtaposer, hors de tout plan préconçu, différentes actions relevant de disciplines artistiques distinctes. Ce sera, en fait, le tout premier Happening.

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Écrit par

  • : musicien, philosophe, fondateur du département de musique de l'université de Paris-VIII

Classification

Pour citer cet article

Daniel CHARLES. CAGE JOHN (1912-1992) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

John Cage - crédits : H V Drees/ Hulton Archive/ Getty Images

John Cage

Autres références

  • SONATAS AND INTERLUDES (J. Cage)

    • Écrit par Juliette GARRIGUES
    • 222 mots
    • 1 média

    En 1938, John Cage, qui professe alors à la Cornish School of the Arts de Seattle, invente le « piano préparé » en plaçant dans la caisse et entre les cordes toutes sortes d'objets : bouchons en caoutchouc, vis et écrous métalliques, lamelles de bois, morceaux de carton ou de papier... Il en résulte...

  • ALÉATOIRE MUSIQUE

    • Écrit par Juliette GARRIGUES
    • 1 301 mots
    • 4 médias
    L'aléatoire est au centre de la musique deJohn Cage. Le compositeur avait déjà expérimenté le hasard des sonorités avec son piano préparé (Concerto pour piano préparé et orchestre de chambre, 1951) en insérant des corps étrangers (gommes, écrous, vis, clous, papier...) à l'intérieur des cordes...
  • ATONALITÉ

    • Écrit par Juliette GARRIGUES, Michel PHILIPPOT
    • 4 382 mots
    • 9 médias
    ...effets nouveaux à partir d'instruments de musique traditionnels, fût-ce en les maltraitant. Un des premiers exemples fut le fameux « piano préparé » de John Cage. Aux alentours de 1975, une nouvelle école, dite « spectrale », voit le jour en France. Dans la musique spectrale, tout le matériau dérive...
  • BODY ART

    • Écrit par Anne TRONCHE
    • 4 586 mots
    • 1 média
    L'origine de cette situation réside peut-être dans l'enseignement du musicienJohn Cage au Black Mountain College, en Caroline du Nord. Dès 1952, il y organise simultanément des lectures de poésie, des concerts de musique, des conférences, des exercices de peinture et de danse (concerted actions...
  • BRECHT GEORGE (1926-2008)

    • Écrit par Bénédicte RAMADE
    • 628 mots

    Né George MacDiarmid aux États-Unis, George Brecht s'est imposé comme l'un des membres essentiels du mouvement Fluxus dans les années 1960. Pourtant, sa formation de chimiste ne laissait en rien présager un tel parcours. En 1956-1957, il rédige un premier texte fondateur, Chance Imagery...

  • Afficher les 23 références

Voir aussi