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HABEAS CORPUS

Controverses institutionnelles et triomphe de l'habeas corpus

Sur le trône d'Angleterre, les premiers Stuarts, imprégnés des traditions administratives et juridiques de leur pays d'Écosse, ont apporté leur idéologie absolutiste, leurs méthodes arbitraires, leur souci d'étendre la prérogative royale par le moyen des organismes de gouvernement direct (Conseil privé, « cours de prérogative » et notamment Chambre étoilée), en négligeant le Parlement ou en faisant pression sur les tribunaux de common law. C'est alors que s'ouvre le fameux débat « constitutionnel » entre le chancelier Bacon (selon lequel les juges sont des lions « sous » le trône) et le juge Edward Coke qui affirme au contraire le règne supérieur et suprême de la loi (common law). Sous Jacques Ier et Charles Ier, le Parlement lui donne une dimension politique majeure. Dans la longue et grave querelle sur l'exacte extension de la prérogative, le Parlement, refusant l'interprétation gouvernementale (et la jurisprudence observée par des juges intimidés), affirme qu'un ordre du Conseil privé ou un « commandement spécial » du roi ne sauraient abolir ou suspendre les effets d'un writ d'habeas corpus. En 1627, la Pétition du droit, se référant à la Grande Charte, aux lois et statuts du royaume et dénonçant des emprisonnements injustifiés maintenus au mépris de l'habeas corpus, déclare qu'« aucun homme libre ne sera détenu ou emprisonné de la façon précédemment décrite ». En 1641, en même temps qu'étaient abolis les tribunaux de prérogative, les arrestations ordonnées par le roi en conseil furent subordonnées à la procédure d'habeas corpus. Mais c'est sous Charles II que triompha la prééminence du pouvoir des juges en matière de liberté individuelle sur les actes d'une autorité administrative ou politique ayant agi en dehors de la filière « légale ». Au-delà d'une quelconque conception idéale de la liberté humaine, l'habeas corpus établissait la subordination – issue des circonstances – des « actes d'État » à l'appréciation souveraine des juges et des jurys.

Cependant, dans l'enthousiasme vite atténué de la Restauration, le ministre Clarendon, partisan résolu d'une sorte d'absolutisme « légal », inaugure une nouvelle phase d'autoritarisme avec la caution de Charles II, héritier des tendances familiales et dont l'action cauteleuse pour servir ses toquades, et ses desseins tant politiques que religieux enfreint souvent la « légalité » stricte. Fréquemment du reste, les juges ordinaires, dont l'autorité reste précaire, n'osent pas utiliser les writs d'habeas corpus, dont l'émission semble réservée aux juges du Banc du roi ou au chancelier et seulement en période de sessions judiciaires, c'est-à-dire à peine six mois par an. Jusqu'en 1676, les lords repoussent les bills introduits aux Communes pour régulariser l'habeas corpus, et le pouvoir royal fait sommairement emprisonner les opposants dont la hardiesse est jugée intolérable. Mais la crise politique s'approfondit et s'aigrit : la collusion de Charles II avec Louis XIV, implacable champion de l'absolutisme et du catholicisme, les rancœurs des milieux d'affaires, les suspicions inspirées par la garde royale, le grand débat (après le prétendu complot papiste) sur l'exclusion du duc d'York catholique de la succession au trône et l'apparition d'une opposition whig créent dans les milieux dirigeants et populaires une atmosphère d'insécurité et de craintes. C'est alors qu'en 1679 le leader whig lord Shaftesbury introduit un nouveau bill d'Habeas Corpus, accepté cette fois par les deux chambres. L'Acte de 1679 est au premier chef un texte technique définissant en détail le mécanisme par lequel le droit établi d'habeas corpus doit être renforcé et garanti. Caractéristique de l'esprit pragmatique du droit anglais, dépourvu de considérations[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Provence, directeur de l'Institut d'art

Classification

Pour citer cet article

André BOURDE. HABEAS CORPUS [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • HABEAS CORPUS ACT

    • Écrit par Wanda MASTOR
    • 235 mots

    L'Habeas Corpus Act constitue le premier mécanisme de garantie efficace d'une liberté individuelle. Dès la Grande Charte, le droit anglais tente de limiter l'arbitraire du souverain à l'égard de ses sujets. Par réaction contre les tendances absolutistes des Stuarts, une protection...

  • COKE sir EDWARD (1552-1634)

    • Écrit par Roland MARX
    • 332 mots
    • 1 média

    L'un des plus célèbres juristes anglais du xviie siècle. Nombre des jugements de sir Edward Coke ont fait jurisprudence. Sa vie publique a été marquée par la difficile recherche d'une conciliation entre les exigences du droit et la loyauté envers le monarque. Appelé aux plus hautes fonctions...

  • DROITS DE L'HOMME

    • Écrit par Georges BURDEAU, Gérard COHEN-JONATHAN, Universalis, Pierre LAVIGNE, Marcel PRÉLOT
    • 24 100 mots
    • 3 médias
    ...suprême de la démocratie libérale ; la Grande-Bretagne, « mère des parlements », a servi également de modèle dans ce domaine à de nombreuses démocraties. L' Habeas Corpus Act de 1679, « loi pour mieux garantir la liberté des sujets et prévenir l'envoi des prisonniers outre-mer », permet à tout détenu ou à toute...
  • LIBERTÉS PUBLIQUES

    • Écrit par Georges LESCUYER
    • 4 928 mots
    • 1 média
    ...juriste contemporain, « adorent les déclarations de principe et méprisent les procédures qui en sont la garantie. Le résultat est que les Anglais qui ne se sont jamais répandus en déclamations sur les droits de l'homme ont l' habeas corpus et que nous avons la garde à vue » (G. Vedel).
  • PÉNAL DROIT

    • Écrit par Luc VILAR
    • 7 123 mots
    ...common law et lui doit son caractère. Son origine est dans les coutumes du xiie siècle, unifiées à partir de la conquête normande. Depuis l' habeas corpus de 1215 en Grande-Bretagne, la Déclaration des droits de 1776 et la Constitution de 1789 aux États-Unis d'Amérique, les deux parents du...

Voir aussi