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HABEAS CORPUS

Adaptations et suspensions

Élaboré dans une situation donnée, l'Acte de 1679 ne pouvait tout prévoir. Aussi, au cours des périodes suivantes, la procédure d'habeas corpus fut-elle étendue à des situations spécifiques, amenuisant ainsi sans cesse le domaine de l'« illégalité » ou de l'injustice. En 1758 fut posé, par le biais de l'habeas corpus, le problème de la presse ou de l'enrôlement forcé dans l'armée ou la marine ; en 1771, celui des nègres esclaves en Angleterre ; en 1816 – quand le statut acquit sa forme actuelle –, celui des prisons privées et notamment de l'incarcération à bord des navires, ce qui fit étendre l'habeas corpus au domaine maritime immédiat de l'Angleterre puis, après 1861, aux possessions britanniques d'outre-mer (où il sera administré par les cours locales et, en appel, par le comité judiciaire du Conseil privé). Le Pays de Galles, Berwick-on-Tweed, Jersey, Guernesey avaient été formellement inclus dans l'Acte de 1679 ; l'île de Man le fut en 1816. De même tous les territoires d'obédience ou de traditions britanniques furent-ils dotés de formules souvent originales, mais aboutissant aux résultats de l'habeas corpus. Furent ainsi prémunis contre les emprisonnements injustes et les délais indus de jugement, l'Écosse (1701-1848), l'Irlande (1781-1782), les États-Unis (où la délimitation entre les pouvoirs des cours des États et ceux des juges fédéraux, parfois délicate, fit une large part aux instances locales). Pourtant, les circonstances amenèrent parfois le Parlement britannique à autoriser des suspensions de l'habeas corpus, ce qui manifeste son caractère « politique » et non point « philosophique » : crainte de la France révolutionnaire et belliqueuse, sans doute, mais aussi de la subversion sociale. La suspension fut renouvelée par Acte spécial chaque année de 1794 à 1801 . Les mobiles furent analogues quand l'habeas corpus fut suspendu en 1817 lors des troubles du radicalisme, accusé de conspiration. Le fait que l'habeas corpus n'est pas fondamentalement motivé par des considérations d'éthique apparaît dans les suspensions intervenues en Irlande lors du mouvement Fenian (1866) ou pendant la guerre des Boers, quand il ne put généralement prévaloir contre les verdicts des cours martiales. En revanche, l'habeas corpus put servir efficacement à protéger des étrangers sur le sol de la Grande-Bretagne : ainsi fut obtenue la libération des prisonniers canadiens impliqués dans la rébellion de 1837 et transitant par l'Angleterre pour être déportés dans une autre partie de l'Empire ; ainsi eurent lieu des enquêtes sur la détention d'étrangers fugitifs ou incarcérés en vertu d'accords d'extradition.

Pendant que se développaient en Angleterre les conséquences de l'Acte de 1679, les lettres de cachet se multipliaient de l'autre côté de la Manche. Sans doute, le peuple anglais restera-t-il longtemps exclu des avantages de l'habeas corpus (habeas corpus, pour un pauvre délinquant au siècle des Lumières, signifie la déportation au lieu de la potence) ; sans doute, le petit peuple français n'était-il guère touché par les « ordres du roy ». À la longue cependant, des systèmes aussi antinomiques devaient, chacun selon sa dynamique propre, modeler les esprits et influencer l'attitude des masses.

— André BOURDE

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Provence, directeur de l'Institut d'art

Classification

Pour citer cet article

André BOURDE. HABEAS CORPUS [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • HABEAS CORPUS ACT

    • Écrit par Wanda MASTOR
    • 235 mots

    L'Habeas Corpus Act constitue le premier mécanisme de garantie efficace d'une liberté individuelle. Dès la Grande Charte, le droit anglais tente de limiter l'arbitraire du souverain à l'égard de ses sujets. Par réaction contre les tendances absolutistes des Stuarts, une protection...

  • COKE sir EDWARD (1552-1634)

    • Écrit par Roland MARX
    • 332 mots
    • 1 média

    L'un des plus célèbres juristes anglais du xviie siècle. Nombre des jugements de sir Edward Coke ont fait jurisprudence. Sa vie publique a été marquée par la difficile recherche d'une conciliation entre les exigences du droit et la loyauté envers le monarque. Appelé aux plus hautes fonctions...

  • DROITS DE L'HOMME

    • Écrit par Georges BURDEAU, Gérard COHEN-JONATHAN, Universalis, Pierre LAVIGNE, Marcel PRÉLOT
    • 24 100 mots
    • 3 médias
    ...suprême de la démocratie libérale ; la Grande-Bretagne, « mère des parlements », a servi également de modèle dans ce domaine à de nombreuses démocraties. L' Habeas Corpus Act de 1679, « loi pour mieux garantir la liberté des sujets et prévenir l'envoi des prisonniers outre-mer », permet à tout détenu ou à toute...
  • LIBERTÉS PUBLIQUES

    • Écrit par Georges LESCUYER
    • 4 928 mots
    • 1 média
    ...juriste contemporain, « adorent les déclarations de principe et méprisent les procédures qui en sont la garantie. Le résultat est que les Anglais qui ne se sont jamais répandus en déclamations sur les droits de l'homme ont l' habeas corpus et que nous avons la garde à vue » (G. Vedel).
  • PÉNAL DROIT

    • Écrit par Luc VILAR
    • 7 123 mots
    ...common law et lui doit son caractère. Son origine est dans les coutumes du xiie siècle, unifiées à partir de la conquête normande. Depuis l' habeas corpus de 1215 en Grande-Bretagne, la Déclaration des droits de 1776 et la Constitution de 1789 aux États-Unis d'Amérique, les deux parents du...

Voir aussi