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GESTALTISME

Le concept d'ensemble chez Edmund Husserl

Il faut souligner enfin la contribution de Husserl lui-même à l'élaboration du concept de forme. Sa réflexion part de l'idée que le concept de nombre a pour origine celui de multiplicité. Du point de vue psychologique, la multiplicité résulte de ce que Husserl appelle une association collective. Dans sa dissertation doctorale Über den Begriff der Zahl (Le Concept de nombre, 1887), il écrit à ce sujet : « La totalité apparaît lorsqu'un intérêt unitaire et, dans celui-ci et avec celui-ci, une observation unitaire, soulignent et comprennent pour eux-mêmes différents contenus. L'association collective ne peut être observée qu'à travers une réflexion portant sur l'acte psychique par lequel la totalité est réalisée. » Sans doute, comme le soulignent certains auteurs et particulièrement Osborn (1949), Husserl s'intéresse avant tout, dès cette époque, à l'essence de la logique et cette tendance n'est que la transposition philosophique de ses intérêts mathématiques originaires. Mais, même si le point de vue psychologique proprement dit reste secondaire, on voit clairement, à la lumière du texte précité, que le concept d'ensemble apparaît chez lui à l'occasion de l'analyse du nombre ; et l'insistance avec laquelle il souligne le caractère unitaire de l'ensemble associatif indique déjà le concept de totalité figurale tel qu'il apparaîtra dans la Philosophie der Arithmetik (Philosophie de l'arithmétique, 1891). Quant à la réflexion sur la genèse de l'ensemble, elle est nettement inspirée par l'orientation propre des enseignements de Stumpf et se range sous la rubrique de ce qu'il appelait l'eidologie, c'est-à-dire la science qui traite des formes de l'activité mentale. Envisageant l'intervention des processus symboliques dans la perception des ensembles numériques, Husserl remarque que ceux-ci s'imposent dès que le dénombrement devient impossible. Cette limite est atteinte à partir d'une dizaine d'objets. Au-delà, c'est l'unité figurale de la totalité qui est perçue. Or celle-ci n'est pas réductible à la somme de ses parties constitutives, lesquelles fusionnent de manière à donner naissance au caractère figural.

Husserl ne se limite pas à l'analyse des ensembles symboliques, il envisage également les structurations visuelles et très précisément celles qui opèrent une délimitation des objets dans le champ visuel. Ainsi donc, par sa Philosophie der Arithmetik, il apparaît sans conteste comme un des fondateurs théoriques du concept de Gestalt. Le terme vient à plusieurs reprises sous sa plume, de même que celui de Configuration, utilisé en particulier contre la conception additive de l'ensemble associatif. Ces termes font suite à celui de figural Moment que Husserl emploie fréquemment dans des passages antérieurs et à divers autres endroits du même chapitre ; cependant, cette dernière expression a un sens plus large que la Gestalt entendue selon la signification ordinaire de forme matérielle, ce qui peut faire naître un doute quant à l'emploi par l'auteur du terme Gestalt tel que le conçoit la théorie de la forme. Il est patent que Husserl parle de préférence de figural Moment, de figural Charakter et surtout de Configuration. Ce dernier vocable, utilisé à propos des délimitations d'objets visuels, est sans doute le terme husserlien qui se rapproche le plus de la Gestalt prise dans son sens psychologique classique. Husserl signale également le caractère configurationnel qui se manifeste dans la perception du mouvement : il parle, à ce propos, de caractère quasi qualitatif et met en évidence ce que la psychologie de la forme appellera le principe du sort commun.

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Louvain, membre de l'Académie royale des sciences et de l'Académie royale de langue et de littérature française de Belgique, membre correspondant du Muséum national d'histoire naturelle de Paris

Classification

Pour citer cet article

Georges THINÈS. GESTALTISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

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Figure réversible due à J. Albers

Autres références

  • ASCH SOLOMON (1907-1996)

    • Écrit par Olivier KLEIN
    • 306 mots

    Psychologue social d'inspiration gestaltiste, Solomon Asch soulignait la nécessité d'envisager l'individu dans sa globalité en prenant en compte le contexte dans lequel s'insère le comportement social. Né à Varsovie en 1907, il émigre à New York avec sa famille en 1920. Il effectue un doctorat sur...

  • ASSOCIATIONNISME

    • Écrit par Frederic Charles BARTLETT
    • 633 mots

    C'est pour expliquer des phénomènes propres à la mémoire qu'on élabora la théorie relative à l'association mentale. Celle-ci n'a posé un problème philosophique que lorsque, sous le nom d'associationnisme, des penseurs ont constitué une théorie psychologique globale. ...

  • COGNITION SOCIALE

    • Écrit par Vincent YZERBYT
    • 1 026 mots

    Si la psychologie sociale étudie la manière dont les pensées, les émotions et les comportements sont influencés par autrui et l’affectent, la cognition occupe une place tout à fait privilégiée dans la discipline. Mobilisant de façon intensive les modèles de l’attention, de la mémoire...

  • COGNITIVES SCIENCES

    • Écrit par Daniel ANDLER
    • 19 262 mots
    • 4 médias
    Les sciences cognitives ont également des sources européennes. C'est en Europe, au début du xxe siècle, que naîtla Gestalttheorie, une école de psychologie qui place la perception au centre de la cognition. La plupart de ses fondateurs, fuyant le nazisme, s'établirent aux États-Unis, et participèrent,...
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Voir aussi