FRONT POPULAIRE
Depuis le début des années 1930, la France est confrontée à une crise multiforme, à la fois économique, politique, sociale et morale, marquée par une profonde dépression, une poussée du chômage, une chute des revenus, une perte de confiance dans la démocratie parlementaire et une impuissance des gouvernements successifs, de gauche et de droite, à redresser la situation. C'est pour faire face à cette crise que naît le Front populaire, alliance conclue, en 1935, entre les partis politiques et les organisations de gauche pour résoudre la crise économique, vaincre le chômage, faire échec au fascisme et remporter les élections législatives de 1936. La victoire électorale du Front populaire entraîne la formation d'un gouvernement dirigé par le socialiste Léon Blum qui pratique, dès lors, une politique de progrès social, demeurée dans les mémoires. Il va, toutefois, connaître un triple échec économique, social et politique, qui conduira le Front populaire à l'agonie, puis à l'éclatement à l'automne de 1938.
Origines et formation du Front populaire (1934-1936)
Le Front populaire apparaît comme la réponse à une triple crise. Tout d'abord, une crise économique qui, partie des États-Unis en 1929, atteint la France en 1931 et se caractérise par une chute de la production et des exportations à laquelle les gouvernements tentent de remédier par la déflation, c'est-à-dire par la diminution des dépenses publiques destinée à faire baisser les prix. Or celle-ci aboutit à une compression du pouvoir d'achat des ouvriers touchés par le chômage et des classes moyennes urbaines ou rurales qui constituent l'assise de la IIIe République (petits exploitants agricoles, commerçants, artisans, petits industriels, etc.) et dont les revenus chutent.
Ensuite, le Front populaire est né en réaction à la poussée fasciste et autoritaire en Europe avec l'arrivée au pouvoir de Hitler en Allemagne (1933), le rapprochement entre ce dernier et Mussolini et l'avènement de dictatures en Europe centrale, orientale et balkanique. Cette situation trouve son équivalent en France avec la résurgence des ligues nationalistes (les Jeunesses patriotes, les Croix-de-Feu), étayées par des groupuscules fascisants (comme le Francisme ou la Solidarité française), qui adoptent un programme populiste supposé répondre aux difficultés sociales de la population. Ce sont ces groupes qui constituent l'infanterie de l'émeute du 6 février 1934, au cours de laquelle les ligues, appuyées par des associations d'anciens combattants et les élus de la droite parisienne, tentent de s'emparer du Palais-Bourbon pour contraindre à la démission le gouvernement du radical Édouard Daladier. Analysée par la gauche française comme une tentative de coup d'État fasciste, cette manifestation va provoquer une réaction populaire, encadrée par les syndicats et les partis de gauche, afin de promouvoir une action commune contre le danger manifesté.
Enfin, le Front populaire naît de l'impasse politique dans laquelle se trouve la gauche française et qui résulte de profondes divisions. Le Parti communiste pratique, depuis 1927, la tactique « classe contre classe », une lutte sans concession contre la république bourgeoise. Il minore le danger fasciste, considérant que son principal adversaire est le socialisme qui conduit la classe ouvrière dans les ornières du réformisme. Pris entre les surenchères communistes et les offres de participation gouvernementale du Parti radical, parti de la gauche républicaine allié, lors des consultations électorales de 1924 et de 1932, aux socialistes de la Section française de l'internationale ouvrière (S.F.I.O.), ces derniers, qui redoutent de perdre leur identité de parti révolutionnaire, refusent de se compromettre au pouvoir. Ils condamnent ainsi à l'échec tous les gouvernements de gauche conduits par les radicaux, tant à l'époque du Cartel des gauches (1924-1926) qu'à celle qui suit les élections de 1932 jusqu'à l'émeute du 6 février 1934. Face au refus de participation socialiste, les radicaux, qui se veulent réformistes, doivent nouer une alliance avec la droite et former des gouvernements d'union nationale (de 1926 à 1928 sous la direction de Raymond Poincaré, de 1932 à 1934, présidés successivement par l'ancien président de la République Gaston Doumergue et par les modérés Pierre-Étienne Flandin et Pierre Laval), provoquant un vif malaise au sein du Parti radical qui tient à rester ancré à gauche.
Ce sont les initiatives du Parti communiste qui vont sortir la gauche de l'impasse. Au cours du printemps de 1934, la révision de la stratégie de l'Internationale communiste, qui considère désormais le danger fasciste comme prioritaire et vise à constituer un vaste front antifasciste avec les bourgeoisies démocratiques, permet au Parti communiste de proposer un rapprochement avec les autres partis de gauche. En juillet 1934, un pacte d'unité d'action est ainsi signé entre communistes et socialistes, ces derniers souhaitant y voir l'amorce d'une unité organique qui effacerait la scission de 1920 au cours de laquelle la majorité du Parti socialiste-S.F.I.O. a décidé de se constituer en Parti communiste, la minorité choisissant de maintenir la S.F.I.O. Mais, très vite, les communistes révèlent leur véritable objectif en proposant, le 9 octobre 1934, une alliance avec les radicaux au sein d'un « Rassemblement populaire » contre le fascisme. Le but est de gagner ce dernier de vitesse de crainte que les classes moyennes se montrent sensibles à son attrait, en incluant dans le Front populaire le Parti radical, leur principal représentant.
Le 14 juillet 1935, de grandes manifestations dans toute la France unissent les partis de gauche (communiste, socialiste, radical, Union socialiste républicaine rassemblant des socialistes indépendants) et des associations comme la Ligue des droits de l'homme, le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes ou les Anciens combattants de gauche, pour proclamer leur fidélité à la République et leur volonté de barrer la route au fascisme. À Paris, les dirigeants nationaux des Partis communiste, socialiste, radical, respectivement Maurice Thorez, Léon Blum et Édouard Daladier, défilent côte à côte. Le succès est tel que le Comité d'organisation de la manifestation se transforme en Comité national du Rassemblement populaire pour préparer, sur la base de l'alliance des gauches, le scrutin législatif de 1936.
Dès lors se pose la question du programme que le Front populaire entend proposer aux électeurs. À la volonté socialiste de mettre en œuvre un vaste ensemble de nationalisations, les radicaux opposent leur attachement à la propriété privée et à l'initiative individuelle. Or ces derniers reçoivent l'appui des communistes qui veulent éviter d'effrayer les classes moyennes et de les rejeter à droite. Finalement, le programme du Front populaire, adopté au début de 1936, est un programme républicain, qui diffère peu de celui du Parti radical et qui s'articule autour du triptyque « le pain, la paix, la liberté », c'est-à-dire la lutte contre la crise, le refus de toute nouvelle guerre et la volonté de barrer la route au fascisme français.
C'est sur ces bases que le Front populaire remporte les élections de mai 1936, une victoire électorale marquée non pas par un raz-de-marée (la gauche ne gagne que 300 000 voix par rapport aux élections de 1932 qui lui étaient déjà favorables), mais par une nette victoire en sièges due au désistement, au second tour, des candidats du Front populaire en faveur de celui qui, parmi eux, était arrivé en tête au premier tour. Il dispose, en effet, de 376 députés contre 222 à la droite. Toutefois, au sein de la gauche, on assiste à un véritable bouleversement : les radicaux, jusque-là force dominante, ne comptent qu'une centaine de députés (toutefois indispensables à la formation d'une majorité), alors que les communistes doublent le nombre de leurs voix par rapport à 1932 et disposent de 72 députés contre 12 en 1932. Mais c'est le Parti socialiste-S.F.I.O. qui arrive en tête en nombre de voix et de sièges. Avec 146 élus, il est la première force de la nouvelle majorité de gauche. Aussi, son chef parlementaire, Léon Blum, revendique-t-il la direction du gouvernement, que le président de la République, le modéré Albert Lebrun, lui consent à contrecœur. Le 4 juin 1936, Léon Blum devient le premier chef de gouvernement socialiste dans l'histoire de la République.
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Écrit par
- Serge BERSTEIN : professeur émérite des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris
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