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ÉTAT (notions de base)

L’État contre le droit du plus fort

Peut-on nier pour autant que, sortis d’un état originel sans doute plus rêvé que réel, les hommes n’ont vraiment réussi à s’arracher à la violence de l’état de nature que grâce à la naissance d’un État disposant de ce que le sociologue Max Weber (1864-1920) a appelé, dans son ouvrage L’État et le politique (1919), le « monopole de la violence légitime » ?

Trop souvent présenté comme défenseur du despotisme, Thomas Hobbes (1588-1679) a construit la théorie la plus achevée de la naissance de l’État. Avant d’inventer un pouvoir souverain, les hommes vivaient en état de guerre les uns avec les autres. Aucune morale naturelle, aucune pitié particulière ne pouvaient limiter l’usage de la violence et le règne du « droit du plus fort ». Hobbes l’exprime avec vigueur dans son De Homine(1658) : « Avant la création des lois et des contrats, il n’y avait parmi les hommes nulle justice, nulle injustice, nulle nature du bien et du mal, pas plus que chez les bêtes. » Pas plus que les autres créatures, l’homme n’est « mauvais » pour ses semblables. Il est simplement « dangereux » pour ceux qu’il croise : être de désir, il ne rencontre aucune limite à la satisfaction de ses envies que celle de ses propres forces et celle des forces qui l’entourent. Pour ces mêmes raisons, tout ne peut être qu’éphémère dans un tel état des choses. Ce que je possède aujourd’hui deviendra demain la propriété d’un homme plus fort que moi…

Contemporain de la guerre civile qui a sévi en Angleterre au xviie siècle, Hobbes voit dans ces événements une sorte de démonstration par l’absurde de la nécessité d’un État souverain. Si rien ne permet de considérer comme moment historique indiscutable l’existence originaire d’un état de nature, tout nous montre comment, dans l’histoire, l’effondrement de l’État a toujours favorisé une situation dans laquelle la violence a explosé et dans laquelle les plus forts ont mis les autres en esclavage. C’est pour éviter cette forme de retour à l’état de nature que les hommes, parce qu’ils sont dotés à la fois de raison et d’imagination, vont décider librement de créer au-dessus d’eux une instance toute puissante à laquelle ils réserveront l’usage exclusif de la violence. Telle est bien la formule du contrat posée au cœur du chapitre XVII du Léviathan (1651), l’œuvre politique majeure de Thomas Hobbes : « J’autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière. »

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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