ENFANCE (Les connaissances) La socialisation
De la naissance à l'âge de 6 ans
Un travail intense de communication façonne les attitudes fondamentales de la sociabilité et suscite en l'enfant, avec les expériences du progrès incessant et des impuissances de sa condition, la recherche du dépassement de soi, motivation essentielle à la socialisation des conduites.
Il y a bien en lui des attitudes innées de sociabilité. Elles sont liées à sa vie émotionnelle. Dès la fin du premier mois, le sourire, en face du haut du visage (Ahrens), les imitations en écho, vers 4 mois la contagion des rires témoignent d'une ouverture première aux autres. Ceux-ci vont les cultiver en fonction de leur « personne de culture ». Les parents attendent l'enfant au travers de leur désir, de leur plaisir sexuel, et poursuivent avec lui une communication amoureuse faite de sourires, paroles, caresses. Ils utilisent les réactions circulaires (innées) pour l'introduire dans un dialogue de mimiques (répétant une réaction de l'enfant qui leur répond en la recommençant). Ils obéissent à ses appels, lui donnant ainsi le sentiment obscur d'un pouvoir sur eux. Après quoi, ils favorisent ses activités intentionnelles, cherchent à se faire imiter dans des jeux. Tout au long de la première année, le couple enfant-éducateurs installe une « conscience à double foyer » (Wallon) : forme élémentaire de subjectivité, dans laquelle l'enfant vit tour à tour l'attente plus ou moins anxieuse d'autrui et le triomphe de l'action avec et sur autrui. Quand vient à manquer cette communication affective, on observe des états d'angoisse et de passivité, et un recul général des conduites d'adaptation : c'est l'hospitalisme de Spitz et Bowlby.
De 10 à 18 mois, la communication gestuelle se développe dans les comportements de donner/réclamer, montrer/refuser, favorisant, avec le sens de la mutualité, la constitution du je en face du tu (Bates), la passion pour la mère (ou un substitut), l'attachement à l'« objet transitionnel », qui confère à l'enfant un domaine propre (Winnicott).
La deuxième année marque la constitution d'une subjectivité nouvelle, caractérisée par la recherche d'une certaine séparation d'autrui et la construction des premières conduites techniques et du langage. D'une part, l'enfant, essentiellement par le processus de l'imitation intentionnelle, immédiate puis différée, réalise un certain nombre de comportements instrumentaux guidés par les outils les plus simples (le bâton, la cuiller, la roue, la boîte, etc.) ; il conquiert peu à peu l'orientation dans les dimensions de l'espace et construit corrélativement son schéma corporel. D'autre part, il en vient à communiquer non seulement ses affects mais les situations qui y correspondent : il reproduit dans des simulacres celles qui l'ont frappé ou réjoui, et surtout il transforme ses émissions vocales en fonction des mots qu'il entend, et les applique aux réalités, jusqu'à désigner, vers 18 mois, les choses par leur nom. Ce sont les préludes de la personnalité sociale, caractérisée par l'instauration d'un contrôle des mouvements et des sons par les modèles sociaux.
Si les conditionnements jouent un rôle, ils ne rendent pas compte de la totalité de ces progrès. Au niveau des motivations, l'imitation suppose un désir de déplacement sur la position d'autrui, qui permet à l'enfant de se dédoubler et d'observer – pour ainsi dire subconsciemment – le déroulement de son geste du point de vue de l'autre encore mal intériorisé. Il s'agit pour lui de lutter contre la dépendance fusionnelle de la première année ; il entre dans un conflit angoissant – désirant être par autrui, mais en se rendant indépendant de lui. Ainsi s'expliquent ses fréquentes révoltes, ses colères contre[...]
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Écrit par
- Philippe MALRIEU : professeur honoraire à l'université de Toulouse.
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Pour citer cet article
Philippe MALRIEU, « ENFANCE (Les connaissances) - La socialisation », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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