HUSSERL EDMUND
Husserl le Grec
Signification essentielle de la phénoménologie
On retiendra les paroles de la fin d'abord, celles de La Crise des sciences européennes (Die Krisis der europäischen Wissenschaften, 1936), « testament » du penseur dans lequel ce qu'il lègue est le testament lui-même, c'est-à-dire l'« Alliance » à partir de laquelle il a toujours parlé, et dont il a uniquement parlé « à travers » tous les thèmes et toutes les recherches de son œuvre immense, l'Alliance de la Vérité avec l'Humanité : « Porter la raison latente à la compréhension de ses propres possibilités et ouvrir ainsi au regard la possibilité d'une métaphysique en tant que possibilité véritable, c'est là l'unique chemin pour mettre en route l'immense travail de réalisation d'une métaphysique, autrement dit d'une philosophie universelle. C'est uniquement ainsi que se décidera la question de savoir si le Télos qui naquit pour l'humanité européenne avec la naissance de la philosophie grecque : vouloir être une humanité issue de la raison philosophique, et ne pouvoir être qu'ainsi – dans le mouvement infini où la raison passe du latent au patent et la tendance infinie à l'autonormation par cette vérité et authenticité humaine qui est sienne – n'aura été qu'un simple délire de fait historiquement repérable, l'héritage contingent d'une humanité contingente, perdue au milieu d'humanités et d'historicités tout autres ; ou bien si, au contraire, ce qui a percé pour la première fois dans l'humanité grecque n'est pas plutôt cela même qui, comme entéléchie, est inclus par essence dans l'humanité comme telle » (Die Krisis der europäischen Wissenschaften, § 6).
La mauvaise façon de faire face à un tel texte est de masquer la crainte que sa force de décision historiale nous inspire sous les diverses « supériorités » que nous nous sentons capables d'exercer à son égard, comme à l'égard de l'œuvre husserlienne dans son entier. En particulier, nous avons aujourd'hui tous les moyens, non seulement de ne pas consentir à confondre le travail de la philosophie (si même nous continuons, par provision, à nous servir encore de cet ancien mot) et le travail de manifestation de la raison, mais aussi de saisir déjà dans le caractère « infini » de ce travail de manifestation, c'est-à-dire dans le pur et simple « ainsi de suite » d'une entreprise interminable, la rançon de son in-finité en un autre sens, et plus radical, celui d'une indétermination originelle. Nous sommes également capables, élevant à la clarté du savoir la sentence fameuse prononcée par Kant dans l'obscurité du principe de juridiction critique – que la « vérité » n'est qu'un « mot séduisant » – de coller Husserl au mur d'une notion si plane, que de surcroît il a lui-même aplanie jusqu'à l'absolue surface, c'est-à-dire aussi bien la superficialité absolue de l'idée d'apodicticité (ou de présence pure). Bref, nous sommes, de toute façon, beaucoup plus « savants » et beaucoup plus « forts » que ne l'était Husserl, parce que nous le sommes beaucoup plus qu'il ne pouvait l'être.
C'est qu'il ne s'agit pas là d'une différence entre les hommes, mais d'une différence entre des âges de l'humanité, c'est-à-dire entre des âges auxquels appartiennent les hommes avec la totalité de leurs travaux et de leurs qualités, les uns définis et les autres employées dans des limites essentielles qui sont celles d'un « jeu du possible » dont nul n'est convenu et que personne ne franchit, aucune puissance naturelle n'y pouvant faire de brèche, et la liberté même de l'esprit se confondant avec le « jouer » de ce jeu.[...]
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Écrit par
- Gérard GRANEL : professeur à l'université de Toulouse
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Pour citer cet article
Gérard GRANEL, « HUSSERL EDMUND », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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