HUSSERL EDMUND
La « fondation platonicienne de la logique »
La question sur le sens et le fondement de la modernité, en laquelle se rassemblent toutes les autres questions de la phénoménologie, s'est d'abord jouée pour Husserl, à l'époque des Logische Untersuchungen (1900), dans une sorte de marginalité indéterminée et précieuse par rapport aux deux disciplines modernes qui seules pouvaient être, ou se prétendre, « compétentes » à l'égard de la logicité en général : la « psychologie » (comme rameau de la science moderne de la nature) et la « théorie de la connaissance » (comme rameau de la science moderne de l'esprit). La chance de la philosophie qui devait s'affermir dans ces recherches, et bientôt saisir son idée sous le terme de « phénoménologie », est certainement que Husserl n'ait pas d'abord été philosophe, mais mathématicien. Une deuxième fois, entre 1891 (Philosophie der Arithmetik) et 1900 (Logische Untersuchungen), s'est vérifié l'oracle pythagoricien que Platon a inscrit au fronton de la métaphysique : « A-géomètre, qu'aucun n'entre ici. »
Ce point de départ dans une science est à comprendre non pas dans le sens d'une subordination du « logique » à l'ordre des sciences, mais bien au contraire comme fondation de toutes les sciences dans le « logique » comme dans leur « possibilité de principe ». C'est ce que Husserl appellera plus tard (dans l'introduction de Formale und transzendentale Logik) la « fondation platonicienne de la logique ». La référence à Platon est ici essentielle, en ce qu'elle marque la différence radicale du travail husserlien par rapport à tout travail philosophique moderne (et qu'en lui par conséquent se montre sous une autre figure encore le « Grec » dans Husserl et sa puissance de décision). La thèse de Husserl est en effet que « le rapport originel entre logique et science s'est inversé d'une manière remarquable dans les temps modernes » (Introduction de Formale und transzendentale Logik). Ce qui signifie que non seulement les mathématiques modernes et les sciences modernes de la nature, mais encore la métaphysique moderne elle-même ne sont que des sciences. Par « science », il faut entendre ici l'« effectuation naïve et immédiate de la raison théorique », c'est-à-dire une « effectuation » du savoir qui s'est coupée de la question sur le « vrai » lui-même et ne vise plus à la radicalité « principielle » dans la compréhension et la justification de soi : qui ne vise plus l'Idée ou le Logos.
C'est au contraire dans la reprise de cette visée platonicienne que Husserl ressaisit la possibilité de la décision philosophique à un niveau inconnu des modernes, qu'il appelle « logique ». « Logique », dans les Recherches logiques, est d'abord à comprendre comme l'adjectif de Logos. C'est secondairement que ces recherches doivent leur titre au fait que la « matière » de leur investigation couvre en effet l'ensemble des domaines que connote, pour nous modernes, et sans que l'unité en apparaisse clairement, un tel titre : des réflexions sur les mathématiques, des réflexions sur les systèmes formels en général, puis des généralités sur les sciences et peut-être aussi des généralités sur la notion même de signification. Des recherches fondamentales ne doivent en effet jamais leur titre (c'est-à-dire à la fois leur validité et leur intitulé) à leur matière, mais à leur ordre et au principe de cet ordre. De là vient que celles de Husserl rassemblent non seulement les matières « logiques » énumérées plus haut, mais aussi, et même surtout, des développements qui, pour nous modernes, relèveraient d'autres disciplines que de notre « logique » et que nous rangerions dans cet arrière-tiroir où[...]
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Écrit par
- Gérard GRANEL : professeur à l'université de Toulouse
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Pour citer cet article
Gérard GRANEL, « HUSSERL EDMUND », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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