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CULTURE Le choc des cultures

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La fin de la culture

André Malraux - crédits : Bettmann/ Getty Images

André Malraux

Avec la création de ce nouveau ministère, nommé successivement ministère de la Culture et de l'Environnement, de la Culture et de la Communication, de la Culture, des Grands Travaux et du Bicentenaire, de l'Éducation nationale et de la Culture, de la Culture et de la Francophonie, et finalement ministère de la Culture tout court, la voie était ouverte à l'apparition des maisons de la culture. Dorénavant, le terme générique et indéfinissable « culture » allait se substituer dans les textes administratifs, esthétiques ou critiques, au terme « art », et, plus encore, à celui de « beaux-arts ». La politique ministérielle était bien fondée sur une volonté de « démocratisation de la culture », bien qu'André Malraux n'ait jamais utilisé une telle expression. Le décret du 24 juillet 1959 lui donnait en effet pour mission de « rendre accessibles les œuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ». À la vérité, ce n'était pas la conception esthétique de l'auteur de La Monnaie de l'Absolu et des Voix du silence à qui beaucoup reprochèrent sa conception élitiste de l'art.

Dans son discours du 19 mars 1966, à l'occasion de l'inauguration de la maison de la culture d'Amiens, Malraux mettait en question la technique qui a créé « le temps vide qui n'existait pas et que nous commençons à appeler le loisir », et il n'hésitait pas à identifier ce « temps vide » au « monde moderne ». Rien ici qui concerne la skholè grecque ou l'otium romain qui étaient des temps de plénitude. L'écrivain continuait de façon classique, et tragique, à considérer la culture comme « ce qui répond au visage qu'a dans la glace un être humain quand il y regarde ce qui sera son visage de mort » et, par conséquent, « ce qui répond à l'homme quand il se demande ce qu'il fait sur terre ». Cette culture malrucienne, fondée sur le primat du « choc », comme chez Baudelaire et Benjamin, impliquait une rupture métaphysique destinée à combler un vide spirituel, et non une rupture historique vouée à le creuser. Aujourd'hui en effet, et Malraux se montrait nietzschéen dans le même discours, « il n'y a plus de signification de l'homme et il n'y a plus de signification du monde ». La culture qu'il défendait devrait alors assurer le relais de l'art traditionnel dont l'imaginaire a pris dans l'histoire la forme d'un « anti-destin ».

Mais le destin de la culture d'État a pris plutôt en France la forme d'un « anti-Malraux ». L'artiste en lui savait que « l'héritage de la noblesse du monde » risquait de se dissiper sous le « mot si confus de culture ». Les premières maisons de la culture, qui ouvrirent dans les capitales régionales et essaimèrent dans toutes les villes avec l'aide des comités des affaires culturelles, puis des Directions régionales des affaires culturelles, ont d'abord illustré les arts traditionnels. Mais la politique publique a peu à peu donné naissance à un art officiel qui est administrativement indifférent à la création artistique. À bien des égards, le rôle de l'État s'est limité à justifier, par le jeu des subventions, une animation socioculturelle qui propose au public les manifestations les plus diverses, et les plus confuses, de production. La voie était ouverte à ce que Marc Fumaroli a dénoncé comme « l'État culturel » et Maryvonne de Saint-Pulgent comme « le Gouvernement de la culture ». Cette culture étatique a emprunté au monde médiatique le clinquant de ses manifestations à l'image de la fête de la musique. De telles manifestations culturelles, qui affectent de se présenter comme le modèle d'une culture universelle, justifient le constat amer de Nietzsche dans ses conférences de 1872 : « Phénomène nouveau[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut universitaire de France, professeur à l'université de Nice-Sophia-Antipolis

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Médias

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Claude Lévi-Strauss

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