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CRITIQUE DE CINÉMA

L'âge moderne

Le débat autour des notions d'auteur et de mise en scène

Deux publications préparent la naissance d'une critique moderne. L'Écran français (1943-1953), né sous la clandestinité, et d'abord abrité par Les Lettres françaises, devient rapidement un hebdomadaire indépendant de ses origines politiques comme de la publicité cinématographique. Dans cet espace de liberté, sous la direction de Jean-Pierre Barrault et Jean Vidal, s'affrontent les « anciens », regroupés autour du communiste Louis Daquin, et les « modernes » : André Bazin, Alexandre Astruc, Jean Charles Tacchella, Roger Théron... Ces derniers se passionnent pour le cinéma américain tout récemment redécouvert. Mais le vrai débat se cristallise autour de la vieille querelle de la forme et du fond. Dans un article-manifeste, « Naissance d'une nouvelle avant-garde : la caméra-stylo » (1948), Alexandre Astruc affirme que « le cinéma est en train de devenir un moyen d'expression [...] une forme dans laquelle et par laquelle un artiste peut exprimer sa pensée, aussi abstraite soit-elle, ou traduire ses obsessions, exactement comme aujourd'hui il en est de l'essai ou du roman ». Déjà en germe dans les colonnes de L'Écran français, s'élabore, sous la plume du fondateur Jean-George Auriol, dans la deuxième série de La Revue du cinéma (1946-1948), une réflexion sur la mise en scène, mais aussi sur la notion d'auteur, contre l'idée du cinéma conçu comme travail collectif. L'œuvre cinématographique, comme le roman, ne peut être que « l'œuvre d'un seul homme », affirme un critique américain, Irving Pichel. Dans une des premières réflexions générales sur la critique, « Bucéphale bicéphale », Nino Frank nuance : lorsque, dans le couple scénariste-réalisateur, l'un des deux tire la couverture à lui ou cumule les deux fonctions, on peut parler d'auteur. Outre les auteurs consacrés ou évidents (René Clair, Welles, Stroheim...), ou l'auteur « bicéphale » – le couple scénariste-réalisateur, défendu par Nino Frank –, on voit se profiler une autre forme d'auteur, le « pur » metteur en scène, tel que l'incarnera par exemple Alfred Hitchcock.

La naissance d'une nouvelle sensibilité et d'une nouvelle pratique critiques est inséparable du bouillonnement culturel qui marque l'après-guerre : les grands mouvements d'éducation populaire entraînent le développement des ciné-clubs, groupés en « fédérations », dont chacune, ou presque, a sa revue (Image et son, Cinéma, issu de la revue Ciné-Club, Téléciné...) La séance de ciné-club est suivie par le rituel du débat, conduit par un animateur-professeur ou un critique professionnel. Assumant les deux fonctions, André Bazin (1918-1958) n'a de cesse de convaincre les auditoires les plus divers. Il écrit à la fois dans des publications spécialisées (La Revue du cinéma, L'Écran français), des hebdomadaires de plus grande audience (France-Observateur, Radio-Cinéma-Télévision, qui deviendra Télérama), un quotidien de très grande diffusion (Le Parisien libéré) ou bien encore la revue d'Emmanuel Mounier, Esprit, dont, en chrétien progressiste, il se sent proche. Comme Roger Leenhardt (1903-1985), qui s'occupait de la critique cinématographique dans cette même revue durant les années 1930, il se dit favorable à un cinéma « impur », contaminé par les autres arts, où le spectateur perçoit le spectacle comme réalité et non comme image. Sa réflexion s'appuie pour cela sur le réalisme fondamental – « ontologique » – propre au cinématographe.

En 1951, André Bazin fonde, avec Léonide Keigel et Jean-Marie Lo Duca, puis Jacques Doniol-Valcroze, les Cahiers du cinéma, qui se placent d'emblée dans la continuité de La Revue du cinéma[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Joël MAGNY. CRITIQUE DE CINÉMA [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Être critique de cinéma, Michel Ciment - crédits : Encyclopædia Universalis France

Être critique de cinéma, Michel Ciment

Autres références

  • AGEL HENRI (1911-2008)

    • Écrit par Universalis
    • 191 mots

    Critique de cinéma français. Henri Agel enseigne d'abord au lycée Voltaire de Paris où il dirige le cours de préparation à l'I.D.H.E.C., et où il forme et influence des personnalités aussi différentes que Jean-Louis Bory, Serge Daney, Claude Miller, Alain Corneau. Dans les années...

  • AMENGUAL BARTHÉLEMY (1919-2005)

    • Écrit par Suzanne LIANDRAT-GUIGUES
    • 758 mots

    L'œuvre d'écrivain de cinéma de Barthélemy Amengual est considérable, autant par sa quantité (une douzaine d'ouvrages et une multitude d'articles) que par l'acuité de son propos. Comparable aux meilleurs analystes français de sa génération (tels André Bazin ou Henri...

  • AUDÉ FRANÇOISE (1938-2005)

    • Écrit par Universalis
    • 169 mots

    Critique de cinéma française. Enseignante, militante de la Fédération Jean-Vigo (mouvement des ciné-clubs), Françoise Audé – de son vrai nom Audugé – inaugure en 1968, dans les colonnes de la revue Jeune Cinéma, sa carrière de critique du septième art, avant d'entamer, en 1977, une longue...

  • BAZIN ANDRÉ (1918-1958)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 1 105 mots

    Co-fondateur en 1951 des Cahiers du cinéma, André Bazin, critique et théoricien, a profondément marqué la réflexion sur le cinéma de l’après-guerre. En seulement quinze ans d’activité – il meurt à quarante ans – et malgré une santé fragile, il effectue un travail critique exceptionnel en multipliant...

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Voir aussi