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CRITIQUE DE CINÉMA

La formation d'un vocabulaire critique

« Le cinéma d'art »

Il ne manque alors à la critique cinématographique que la régularité, l'indépendance, et une philosophie. Dans un article du Petit Bleu, en 1911, Lucien Wahl suggérait « des premières de films [où] des aristarques analyseraient, discuteraient, soupèseraient ». Ce n'est qu'à partir de 1916 que des rubriques régulières sont tenues par Émile Vuillermoz (1878-1960) dans Le Temps, ainsi que par Louis Delluc (1890-1924), Lucien Wahl, René Jeanne ou Léon Moussinac, tandis que paraissent sporadiquement des textes brillants de Colette, Jean Cocteau, Philippe Soupault, Harry Baur, Antonin Artaud... Véritables fondateurs de la critique cinématographique, Vuillermoz et Delluc défendent un « cinéma d'Art », un terme calqué sur celui de « théâtre d'Art » qui apparaît à la fin du xixe siècle. Ils revendiquent l'indépendance du critique par rapport à l'industrie cinématographique, mêlant jugements sur des films particuliers et considérations sur les possibilités qui s'ouvrent au cinéma. Louis Delluc, cinéaste et homme de lettres, découvre en 1915 avec Forfaiture, de Cecil B. DeMille, que le cinéma peut atteindre à des subtilités psychologiques jusque-là réservées à la littérature. Il s'exprime dans des revues spécialisées luxueuses (Le Film, Cinéa), un quotidien à grand tirage (Paris-Midi), ou des hebdomadaires (Bonsoir, Le Journal du ciné-club). On lui doit aussi la première monographie sur un « cinéaste » – il est l'inventeur du terme –, Charlot (1921). Avec lui, la critique parvient à formuler une pensée du cinéma, fondée sur la photogénie. La critique doit susciter une « élite » de spectateurs susceptible de soutenir l'effort de producteurs ambitieux. De son côté, dans Le Mercure de France, où il tient une rubrique de 1920 à 1928, Léon Moussinac (1890-1964), ami d'Eisenstein, est le premier à envisager le cinéma comme « expression sociale ».

Art populaire et cinéphilie

Après la lutte contre les talkies puis la victoire du parlant, La Revue du cinéma, fondée en décembre 1928 par Jean-George Auriol (1907-1950) et dont la première série s'étend jusqu'en 1931, développe une nouvelle sensibilité au cinéma. Elle est le fait de jeunes gens – Jacques-Bernard Brunius, Jean-Paul Dreyfus (qui prendra par la suite le pseudonyme de Le Chanois), Louis Chavance, Denis Marion, André Delons... – qui évoluent dans la mouvance du surréalisme. Revenant à la vocation populaire du cinéma, La Revue du cinéma prône « l'humain », qu'elle trouve de préférence dans les films soviétiques (Dovjenko) et américains (King Vidor, Chaplin). Le critique est ici un spectateur non initié entré dans une salle de quartier, qui s'immerge dans le film. Écrit sous le coup de l'émotion, son compte-rendu ne relève d'aucun système. La Revue du cinéma jette ainsi les bases de la cinéphilie moderne, libre de toute attache extérieure au cinéma.

Première emprise du politique

Les années 1930 connaissent des critiques de qualité, qui savent faire montre d'indépendance : Pierre Bost, Georges Altman, Roger Régent, Alexandre Arnoux, Valérie Jahier. Ce sont justement des « hommes de goût » comme les souhaitait Auriol, mais leurs références sont éclectiques et souvent empruntées à d'autres champs esthétiques. Le vide théorique laissé par l'apparition du parlant donne prise à la domination de l'idéologie et de la morale, en relation directe avec le climat intellectuel de l'époque. En 1934, dans la foulée de l'encyclique Vigilanti Cura, qui souligne l'importance du cinéma comme moyen de divulgation de la religion, naît Les Fiches du cinéma. Cette revue publie pour la première fois les génériques et les résumés de tous les films sortis en France.[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Joël MAGNY. CRITIQUE DE CINÉMA [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Être critique de cinéma, Michel Ciment - crédits : Encyclopædia Universalis France

Être critique de cinéma, Michel Ciment

Autres références

  • AGEL HENRI (1911-2008)

    • Écrit par Universalis
    • 191 mots

    Critique de cinéma français. Henri Agel enseigne d'abord au lycée Voltaire de Paris où il dirige le cours de préparation à l'I.D.H.E.C., et où il forme et influence des personnalités aussi différentes que Jean-Louis Bory, Serge Daney, Claude Miller, Alain Corneau. Dans les années...

  • AMENGUAL BARTHÉLEMY (1919-2005)

    • Écrit par Suzanne LIANDRAT-GUIGUES
    • 758 mots

    L'œuvre d'écrivain de cinéma de Barthélemy Amengual est considérable, autant par sa quantité (une douzaine d'ouvrages et une multitude d'articles) que par l'acuité de son propos. Comparable aux meilleurs analystes français de sa génération (tels André Bazin ou Henri...

  • AUDÉ FRANÇOISE (1938-2005)

    • Écrit par Universalis
    • 169 mots

    Critique de cinéma française. Enseignante, militante de la Fédération Jean-Vigo (mouvement des ciné-clubs), Françoise Audé – de son vrai nom Audugé – inaugure en 1968, dans les colonnes de la revue Jeune Cinéma, sa carrière de critique du septième art, avant d'entamer, en 1977, une longue...

  • BAZIN ANDRÉ (1918-1958)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 1 105 mots

    Co-fondateur en 1951 des Cahiers du cinéma, André Bazin, critique et théoricien, a profondément marqué la réflexion sur le cinéma de l’après-guerre. En seulement quinze ans d’activité – il meurt à quarante ans – et malgré une santé fragile, il effectue un travail critique exceptionnel en multipliant...

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Voir aussi