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COLONIALISME & ANTICOLONIALISME

Du mercantilisme à la Révolution française

Désormais et pour près de trois siècles, la colonisation est liée au mercantilisme. Il faut augmenter le numéraire intérieur en achetant aussi peu que possible à l'extérieur et en favorisant les industries nationales pour développer les exportations. Des débouchés sont nécessaires. Dès lors les mercantilistes sont favorables à l'expansion coloniale. On ne renonce pas aux motivations d'hier (l'apostolat), mais on y ajoute les besoins du commerce. C'est ce qu'écrit Antoine de Montchrestien dans son Traité de l'économie politique (1615), où il associe les deux préoccupations : « comme Dieu lui même promet à ceux qui cherchent son royaume d'y ajouter par-dessus le comble de tout bien, il ne faut point douter qu'outre la bénédiction de Dieu qui viendrait à ce grand et puissant État pour des entreprises si pieuses, si justes et si charitables [...] il s'ouvrirait par ce moyen, tant ici que là-bas, de grandes et inépuisables sources de richesses. » Cette conception prédomine en France et en Angleterre. Le colonialisme mercantiliste tend à faire des colonies des dépendances économiques de la métropole. Il est en Angleterre à l'origine de l'Acte de navigation (1651) et en France du régime de l'« exclusif ». Il faut empêcher en effet la production des colonies de concurrencer celle de la métropole, écarter toute intervention d'un tiers entre la colonie et sa métropole, contraindre les colonies à ne commercer qu'avec la métropole. Telle est l'opinion qui prévaut encore au xviiie siècle. Pour l'Encyclopédie, « les colonies n'étant établies que pour l'utilité de la métropole », elles « doivent être sous sa dépendance et par conséquent sous sa protection » et « le commerce doit être exclusif aux fondateurs ». C'est aussi l'opinion de Montesquieu : « L'objet de ces colonies, écrit-il est de faire le commerce à de meilleures conditions qu'on ne le fait avec les peuples voisins avec lesquels tous les avantages sont réciproques. » Si seule la métropole peut négocier avec la colonie, c'est que « le but de l'établissement a été l'extension du commerce, non la fondation d'une ville ou d'un nouvel empire ».

Cependant, des philosophes mettent en cause le principe même de la colonisation, en particulier le droit de l'occupant. « Si un Taïtien débarquait un jour sur vos côtes, s'écrie Diderot, et s'il gravait sur une de vos pierres ou sur l'écorce d'un de vos arbres : ce pays appartient aux habitants de Taïti, qu'en penserais-tu ? » La bible de l'anticolonialisme au xviiie siècle est l'Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes de l'abbé Raynal. Le succès de l'ouvrage, paru en 1770 sans nom d'auteur, a été considérable : en un quart de siècle, trois éditions, une trentaine de réimpressions, sans parler des contre-façons et des traductions en anglais, en espagnol et en allemand. Raynal, qui avait eu de nombreux collaborateurs, dont Diderot, a mesuré toute l'importance du fait colonial : « Il n'y a point eu d'événement aussi intéressant pour l'espèce humaine en général et pour les peuples de l'Europe en particulier. » Il revient sur le thème du « bon sauvage ». De toute façon, il faut reconnaître la diversité des civilisations. Née du désir de s'enrichir et toujours accompagnée de violences, la colonisation n'a pas pour objet de « civiliser ». Toutefois, la doctrine de Raynal est très incertaine. D'un côté, il prône un anticolonialisme virulent et lance des appels à la révolte (« Barbares européens ! [...] J'ai pris les armes contre vous : j'ai baigné mes mains dans votre sang. ») ; et, dans le même temps, il reconnaît l'intérêt que présentent les colonies et regrette le retard de la France. Il est favorable à une forme pacifique de pénétration et, ne réclamant pas une abolition radicale et immédiate de l'esclavage, il n'envisage que sa suppression progressive. Il condamne l'exclusif, le monopole et le système des grandes compagnies privilégiées et exalte la liberté, « âme du commerce ». Il rejoint ainsi l'anticolonialisme des libéraux qui apparaît avec les physiocrates. Dès 1755, Gournay propose d'ouvrir à tous le trafic des Indes en supprimant la Compagnie des Indes. C'est également l'opinion que développe Morellet dans son Mémoire sur la situation actuelle de la Compagnie des Indes. Mais, pour d'autres physiocrates, les colonies n'offrent aucun intérêt. « La nation à laquelle ses colonies feront faux bond la première sera la plus heureuse si elle sait se conduire selon les circonstances. Elle y perdra beaucoup de soins et de dépenses et y gagnera des frères puissants et toujours prêts à la seconder au lieu de sujets onéreux » (marquis de Mirabeau). « Les colonies sont comme des fruits qui tiennent à l'arbre jusqu'à ce qu'ils en aient reçu une nourriture suffisante, alors ils s'en détachent » (Turgot). Dans le même temps s'affirme un courant abolitionniste. En réaction se forme un parti colonial autour du Club Massiac. S'efforçant d'intéresser à sa cause les armateurs, il est avant tout un syndicat de défense des planteurs. Ces controverses n'intéressent qu'une infime partie de l'opinion. Les problèmes coloniaux ne sont pas au premier plan de l'actualité et les cahiers de doléances sont à ce point de vue très discrets.

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Durant la Révolution, il ne s'agira pas tant des colonies elles-mêmes que du statut de leurs habitants. Le « Périssent les colonies ! » de Robespierre ne peut être interprété comme l'expression d'un anticolonialisme systématique. C'est la réponse aux défenseurs des colons pour qui l'application aux colonies de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen signifierait la fin du système colonial. Ces colons étant prêts à la sécession (ils la feront aux Antilles avec l'aide des Anglais), ils sont anticolonialistes dans la mesure où ils entendent rompre avec une métropole révolutionnaire, et en même temps fanatiquement colonialistes dans leurs rapports avec les hommes de couleur et les esclaves. En fait, Paris est à la remorque des événements. Le 24 septembre 1791, la Constituante abandonne aux assemblées coloniales, composées essentiellement de représentants de colons blancs, le droit de régler la condition des hommes de couleur libres. Quant à la suppression de l'esclavage par la Convention (4 févr. 1794), elle ne fait que sanctionner une situation de fait. Toutefois avec la Révolution apparaît une interprétation nouvelle de l' assimilation, à savoir l'octroi à tous les habitants des colonies (quelle que soit leur origine) de la totalité des droits que possèdent les métropolitains.

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Écrit par

  • : maître assistant à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

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Boers au combat

Cecil Rhodes - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

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