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COLONIALISME & ANTICOLONIALISME

Socialisme et anticolonialisme

À ce colonialisme va s'opposer un anticolonialisme aux aspects bien divers et parfois contradictoires. En Angleterre, par exemple, les libéraux n'ont pas désarmé et, en 1881, la politique annexionniste de Disraeli est condamnée par les électeurs. Cette opposition s'en prend à une certaine conception de l'Empire et l'échec électoral de Chamberlain en 1906 signifie le rejet de l'impérialisme douanier qu'il avait préconisé. L'anticolonialisme britannique, y compris celui des travaillistes, ne se distinguera guère de la tradition libre-échangiste des radicaux.

En France, tout au moins jusqu'en 1914, l'anticolonialisme est plus diversifié. La conjoncture politique l'explique autant que la réflexion doctrinale. Si, par exemple, les catholiques s'opposent à Jules Ferry, c'est qu'ils veulent indirectement porter un coup à sa politique scolaire. Aussi les arguments avancés ici ou là sont-ils contradictoires : inquiétude de l'opinion en raison de la participation des soldats du contingent à des expéditions lointaines, coût des colonies en hommes et en argent, crainte d'une diversion par rapport aux affaires européennes (question d'Alsace-Lorraine), méfiance envers les militaires et les milieux d'affaires.

C'est du socialisme que va sortir l'anticolonialisme le plus systématique. Karl Marx, qui n'est pas le contemporain de la grande poussée coloniale, a mis en lumière la place de l'exploitation coloniale dans le processus de l'accumulation primitive. Les capitaux investis dans les colonies sont en mesure « de rendre des taux de profit plus élevés ». En bref, Karl Marx justifie en quelque sorte les motivations économiques du colonialisme. À propos de l'Inde, qu'il avait particulièrement étudiée, Marx a mis l'accent sur les deux aspects contradictoires de la domination britannique : d'une part, elle détruit, « fracassant toute la structure de la société indienne » ; d'autre part, elle crée, en unifiant le pays, en développant les chemins de fer, les conditions d'une étape nouvelle. Mais « les Indiens ne récolteront les fruits de ces germes de société nouvelle qu'a éparpillés parmi eux la bourgeoisie britannique que lorsque, en Grande-Bretagne, les classes à présent au pouvoir auront été remplacées par le prolétariat industriel, ou lorsqu'ils seront eux-mêmes devenus assez forts pour rejeter totalement le joug des Britanniques. »

Toutefois, la pensée socialiste a été pendant longtemps hésitante. Pour ceux qui se plaçaient dans la tradition saint-simonienne, la colonisation était une forme de l'exploitation des richesses universelles. Pour d'autres, c'était la possibilité de réaliser outre-mer les rêves d'une cité merveilleuse. Certains enfin voyaient dans le départ des ouvriers vers les colonies un moyen pour eux d'échapper à l'exploitation capitaliste. La IIe  Internationale n'accorde que peu d'intérêt aux questions coloniales. Sans doute est-il affirmé que « la politique coloniale n'a d'autre but que d'augmenter les profits de la classe capitaliste et de maintenir le système capitaliste en dilapidant la valeur et le sang du prolétariat ». La condamnation est nette aussi dans la brochure que Paul Louis publie en 1905 et qui s'intitule précisément Le Colonialisme. Mais, dans la pratique politique, il y a beaucoup de fluctuations. Un socialiste allemand comme Edouard Bernstein justifie l'expansion coloniale. La position de Jaurès a très sensiblement évolué. Il considère d'abord comme un fait que « tous les peuples sont engagés dans la politique coloniale ». Mais il rêve d'une expansion coloniale pacifique. Puis son anticolonialisme se précise à mesure que mûrit son socialisme. Le rassemblement des affairistes[...]

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Écrit par

  • : maître assistant à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris

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Pour citer cet article

Jean BRUHAT. COLONIALISME & ANTICOLONIALISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Boers au combat - crédits : Van Hoepen/ Hulton Archive/ Getty Images

Boers au combat

Cecil Rhodes - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Cecil Rhodes

Autres références

  • LE LIVRE NOIR DU COLONIALISME (dir. M. Ferro)

    • Écrit par Benjamin STORA
    • 999 mots

    L'idée coloniale et le colonialisme lui-même sont-ils à ranger au magasin des accessoires de l'histoire ? Tout le monde ou presque réprouve aujourd'hui la colonisation, alors que cette aventure humaine continue de hanter l'imaginaire collectif des uns (les héritiers des colonisateurs)...

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    ...l'Algérie une colonie de peuplement. Il apparut que c'était le moyen le plus efficace de consolider la conquête. Cette conviction devait prévaloir dans l'opinion française jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, encore qu'elle eût été fort discutée jusqu'en 1870. Elle explique que, en dépit de quelques tentatives...
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