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CODE NOIR (1685)

Louis XIV signe à Versailles en mars 1685 un édit qui, en un préambule et soixante articles, règle dans les possessions françaises d'outre-Atlantique « l'état et la qualité des esclaves » en les qualifiant de bêtes de somme ou de purs objets. C'est le Code noir, préparé par Colbert, qui sera définitivement abrogé lors de l'abolition de l'esclavage par la France, à la traîne d'autres nations, en 1848. Pendant plus d'un siècle et demi, avec une parenthèse de 1794 à 1802, le droit français rejeta hors humanité toutes celles et tous ceux – et leurs descendants – que, pour le compte des nations, des compagnies et des colons, les négriers déportèrent au couchant de l'Atlantique. Le Code noir fait son long chemin en s'alourdissant ici et là dans ses applications à la Guyane, à la Louisiane, ainsi qu'aux Mascareignes de l'océan Indien, mais sans la moindre altération substantielle. Ce code, le plus monstrueux de l'ère dite moderne, s'organise autour d'un principe unique et d'une double économie.

Principe et économie

L'esclave est la propriété du maître, lequel est sujet du roi. Le roi s'adresse à ses sujets à propos de leurs esclaves (préambule) : il ne saurait leur parler directement, dépourvus qu'ils sont d'existence juridique ailleurs qu'au chapitre des biens légitimement acquis.

En féodalité et en monarchie, lois, us et coutumes définissent juridiquement, par toutes sortes de médiations, le lien tramé entre le roi et chacun, jusqu'au dernier des manants ; entre le roi donc et le serf, dont l'humanité pleine et entière n'est mise en doute ni par les jurisconsultes ni par les théologiens. Ce lien, le Code noir l'évacue tout naturellement dès son préambule parce qu'il se déploie, lui, sur l'impossibilité − qu'il gère rigoureusement −, du moindre degré d'homogénéité juridique entre celui qui dit le droit et personnifie pratiquement la loi (rex quasi lex ou lex quasi rex, dit indifféremment l'adage latin), et les biens dont des sujets juridiquement accomplis sont les propriétaires.

Par les emprunts que le Code noir fait au droit canonique, l'esclave est susceptible de conversion ici bas (on lui prêche soumission, abnégation, obéissance) et de salut après la mort : l'esclave a une âme, l'Église peut déployer à son intention sa mission évangélique. C'est l'économie de salut. Par sa façon d'agir, de se comporter et, notamment, par sa promptitude à se résigner et à obéir, l'esclave mérite ; et il démérite par son insoumission, sa désobéissance, sa révolte, son marronnage. Le schéma canonique, celui-là même qui lui « donne » une âme, met l'esclave forcément baptisé (art. 2) face à la plus drastique des alternatives à l'article de la mort : le paradis ou l'enfer. En toute symétrie théologique, l'économie de salut éternel est – aussi – l'économie d'éternelle damnation.

L'esclave est un « bien meuble » (art. 44) et il est envisagé dans le Code noir selon cette évacuation de son humanité. C'est l'économie de propriété. Bien meuble sui generis pourtant, capable de se révolter, de fuir le maître et de manifester ainsi une volonté propre. Cela ne surprend pas plus les rédacteurs du Code noir que cela n'a surpris Aristote définissant l'esclave, dans la Politique, 1, comme un « outil animé » ou un « serviteur inanimé », au choix.

Les arrangements à ce propos des traditions philosophico-juridiques gréco-romaines auront pourtant du mal à s'accommoder de l'impératif chrétien de sauvegarde de la libre volonté. Et si une casuistique très complexe (qu'on n'ose pas qualifier de « jurisprudence ») se déploiera au fil des décennies entre Versailles et les colonies pour calibrer[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de philosophie politique, universités de Paris-I et de Toulouse-II

Classification

Pour citer cet article

Louis SALA-MOLINS. CODE NOIR (1685) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ESCLAVAGE

    • Écrit par Jean-Pierre BERTHE, Maurice LENGELLÉ, Claude NICOLET
    • 8 509 mots
    • 4 médias
    Lapremière protection légale des esclaves fut « octroyée » par la fameuse ordonnance de mars 1685, ou « Code noir ». Or, la lecture de ce code, à notre époque « sociale », est très décevante. Ce texte ne semble apporter aucun progrès par rapport aux coutumes les plus barbares. À la première...
  • FRANÇAIS EMPIRE COLONIAL

    • Écrit par Jean BRUHAT
    • 16 688 mots
    • 19 médias
    ...beaucoup d'immigrants « libres », que de « pauvres Blancs ». Plus de la moitié de la population est désormais formée par les esclaves importés d'Afrique. Colbert a bien préparé le Code noir qui a été promulgué en 1685 ; si ce texte tend théoriquement à substituer des règles à l'arbitraire, s'il reconnaît...
  • HAÏTI

    • Écrit par Universalis, Jean Marie THÉODAT
    • 8 702 mots
    • 11 médias
    ...plantations, chômeurs). Malgré leurs différences de statut et de fortune, tous les Blancs se reconnaissent dans un égal sentiment de supériorité, établie par le Code noir (1685), entre eux et les Noirs. Par cette loi, les Noirs (465 000 esclaves en 1789, soit 88 % de la population totale), même libres, sont...
  • TATOUAGE

    • Écrit par Catherine GROGNARD, Dominique PAQUET
    • 6 798 mots
    ...Moyen Âge, les voleurs sont marqués d'une fleur de lys. Sous l'Ancien Régime, les galériens portent les lettres GAL, les voleurs V, les mendiants M. Le Code noir de 1685 (article 38) exige la fleur de lys pour les esclaves noirs fugitifs. En 1810, le code pénal décline le marquage du T pour travaux forcés,...

Voir aussi