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SIMON CLAUDE (1913-2005)

Les aventures de l’écriture

Histoire, qui obtient le prix Médicis en 1967, est à la fois très formel et très intime. Les événements d’une journée servent de cadre pour explorer les traces de l’histoire de ses parents et des femmes qu’il a aimées et perdues. Le flux de conscience d’un narrateur proche de l’auteur charrie images, citations, jeux de mots et métaphores, dans un récit dont le fil logique est sans cesse interrompu mais qui demeure d’une rare cohérence. La Bataille de Pharsale (1969) entremêle les souffrances de la guerre et celles de la jalousie. Simon convoque ici une intertextualité généralisée et complexe (des fragments souvent transformés de la Recherche et d’auteurs grecs et latins) et de multiples représentations picturales (Poussin, Dürer, Bruegel l’Ancien, Paolo Uccello, Piero della Francesca) dans une « bataille de la phrase » où les procédés de coupe se radicalisent.

L’importance de la peinture dans ce roman comme dans les suivants est grande. L’écrivain a depuis longtemps cessé de peindre et demandera à sa femme de détruire à sa mort tous ses tableaux. Mais il ne cesse pas de s’intéresser à la peinture classique et à l’art de ses contemporains. Jeune, il a fréquenté les cercles surréalistes et cubistes, plus tard Raoul Dufy et Pierre Soulages ; il correspond avec Jean Dubuffet, rencontre Gastone Novelli et des artistes américains. Il apprécie Alechinsky, Bacon, Miró, Gaudí, Antoni Tàpies, Louise Nevelson ou Rauschenberg. Il dessine, pratique le collage et la photographie ; en témoignent Album d’un amateur (1988) et Photographies, 1937-1970 (1992).

Dans les années 1970, la réflexion théorique de Simon sur sa pratique s’élabore, avec par exemple la préface d’Orionaveugle. En 1971, un colloque sur le nouveau roman est organisé à Cerisy-la-Salle. Sa conférence, « La fiction mot à mot », explore les aspects combinatoires de son écriture. En 1974, un autre colloque lui est consacré dans le même lieu. Sous la férule formaliste de Jean Ricardou, toute interprétation référentielle du texte est alors exclue.

Les trois romans qui suivent délaissent donc l’exploration du passé – même si des éléments autobiographiques subsistent – pour mettre en scène le présent des « aventures de l’écriture » et multiplier les expérimentations formelles. Claude Simon mobilise sa vaste culture picturale et s’inspire des techniques du collage pour générer des fictions à partir de descriptions. Dans Les Corps conducteurs (1971), un voyage à New York et divers « pré-textes » picturaux engendrent un vaste collage d’images et de sensations. Triptyque (1973) imbrique trois histoires en une triple mise en abyme logiquement impossible, puisque chacune apparaît comme reproduction dans les deux autres ; les trois lieux (côte d’Azur, banlieue du Nord et campagne du Jura, prétexte à l’évocation d’un souvenir d’enfance) s’appuient sur les œuvres de Bacon, Delvaux et Dubuffet. Leçon de choses (1975) mêle aussi trois temporalités et s’interroge sur la construction/déconstruction d’une pièce en travaux – et par là-même du texte.

C’est sans doute dans ces trois romans que la technique de Claude Simon est la plus proche de celle du cinéma. Cinéphile, le romancier s’inspire notamment des montages subversifs de Buñuel ou Godard. Il est d’ailleurs tenté par la mise en scène. En 1975, à partir d’un scénario qu’il a tiré de Triptyque, une chaîne allemande tourne un court-métrage, Die Sackgasse (L’Impasse). En 1976, il obtient une avance sur recettes pour un film tiré de La Route des Flandres, dont il a écrit le scénario dès 1961 ; mais le projet tourne court.

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Écrit par

  • : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France

Classification

Pour citer cet article

Christine GENIN. SIMON CLAUDE (1913-2005) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Claude Simon - crédits : Louis Monier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Claude Simon

<em>Jambes</em>, C. Simon - crédits : Centre Pompidou/ MNAM-CCI/ Philippe Migeat/ RMN-Grand Palais ;  avec l'aimable autorisation de Mireille Calle-Gruber, ayant droit moral pour l'oeuvre de Claude Simon

Jambes, C. Simon

Autres références

  • HISTOIRE, Claude Simon - Fiche de lecture

    • Écrit par Christine GENIN
    • 838 mots
    • 2 médias

    Couronné par le prix Médicis, Histoire constitue un tournant dans l'œuvre de Claude Simon (1913-2005) : appartenant au cycle « familial » ouvert par L'Herbe, le roman annonce par sa construction La Bataille de Pharsale et par sa thématique familiale et mémorielle les œuvres de la maturité...

  • LE JARDIN DES PLANTES (C. Simon) - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-Didier WAGNEUR
    • 1 339 mots

    Le Jardin des Plantes de Claude Simon (éditions de Minuit, Paris) a constitué l'événement de la rentrée littéraire 1997. L'attribution à l'écrivain du prix Nobel de littérature en 1989 avait scandalisé une partie de la critique littéraire. Puis, insensiblement, elle a fait de lui un « classique » et...

  • L'ACACIA, Claude Simon - Fiche de lecture

    • Écrit par Christophe MERCIER
    • 1 353 mots
    • 1 média

    Dans le paysage des lettres françaises de la seconde moitié du xxe siècle, l'œuvre de Claude Simon (1913-2005), couronnée en 1985 par le prix Nobel, s'affirme comme l'une des plus puissantes. Paru en 1989, L'Acacia est une tentative pour retourner aux sources de la mémoire...

  • LE TRAMWAY (C. Simon)

    • Écrit par Christine GENIN
    • 1 005 mots

    Un enfant dont la mère est en train de mourir se rend au collège en tramway ; un vieil homme renaît à la conscience dans la chambre de transit d'un hôpital. Autour de ces deux images, Le Tramway (Minuit, Paris, 2001), Claude Simon compose la fresque fragile et émouvante d'une mémoire....

  • DESCRIPTION

    • Écrit par Jean-Michel ADAM
    • 3 152 mots
    ...peut ajouter une description productive, dernière tendance qui est parfois à l'œuvre dans des textes antérieurs, bien sûr, et que résument ces lignes de Claude Simon : « Est-ce qu'il n'est donc pas permis de se demander non seulement si, de même qu'indépendamment des choses représentées (nature morte,...
  • LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

    • Écrit par Dominique RABATÉ
    • 7 278 mots
    • 13 médias
    ...lui consacrant une étude publiée dès 1931. Car c’est bien la forme personnelle du temps revécu qui devient le terrain de la littérature, une leçon que Claude Simon (1913-2005, prix Nobel de littérature en 1985) reprend, en lui donnant l’allure inspirée des monologues remémoratifs de William Faulkner....
  • LITTÉRATURE FRANÇAISE CONTEMPORAINE

    • Écrit par Dominique VIART
    • 10 290 mots
    • 10 médias
    ...Gracq (Jean-Paul Goux), Cervantès et Quevedo concurremment à Pascal et Descartes pour Lydie Salvayre. Après Beckett, qui fascine Chevillard et Gailly, Claude Simon constitue un modèle pour nombre d’entre eux, réunis autour de son œuvre, quand bien même ils ne pratiquent pas la même esthétique : Yves Ravey,...
  • NOUVEAU ROMAN. CORRESPONDANCE 1946-1999 (ouvrage collectif) - Fiche de lecture

    • Écrit par Christine GENIN
    • 1 243 mots
    Il faut attendre mars 1957 pour qu’entrent en scène les quatre autres membres du septuor, la doyenne Nathalie Sarraute (1900-1999), Claude Simon (1913-2005), Claude Mauriac (1914-1996) et Michel Butor (1926-2016), le benjamin. Bernard Dort est le premier à employer l’expression « nouveau roman...

Voir aussi