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MISE EN ABYME

Associé à André Gide et au Nouveau Roman, qui l'a popularisé, le terme de « mise en abyme » est volontiers utilisé aujourd'hui pour désigner indifféremment toute modalité autoréflexive d'un texte ou d'une représentation figurée. Ainsi Fable de Francis Ponge sera-t-il qualifié de poème « en abyme », puisqu'il exploite l'autoréférence, pratique le repli narcissique sur soi et s'écrit, comme le fameux Sonnet en X mallarméen, sous le signe du « langage se réfléchissant ».

FABLE

Par le mot par commence donc ce texte

Dont la première ligne dit la vérité, Mais ce tain sous l'une et l'autre, Peut-il être toléré ? Cher lecteur déjà tu juges Là de nos difficultés...

(après sept ans de malheurs,Elle brisa son miroir.)

<it>Les Ménines</it>, D. Velázquez - crédits : Imagno/ Getty Images

Les Ménines, D. Velázquez

Toutefois, un rapide retour aux sources nous engage à adopter une acception plus restrictive du vocable. En 1893, Gide écrit dans son Journal : « J'aime assez qu'en une œuvre d'art on retrouve ainsi transposé, à l'échelle des personnages, le sujet même de cette œuvre. Rien ne l'éclaire mieux et n'établit plus sûrement toutes les proportions de l'ensemble. Ainsi, dans tels tableaux de Memling ou de Quentin Metsys, un petit miroir convexe et sombre reflète, à son tour, l'intérieur de la pièce où se joue la scène peinte. Ainsi, dans le tableau des Ménines de Vélasquez (mais un peu différemment). Enfin, en littérature, dans Hamlet, la scène de la comédie ; et ailleurs dans bien d'autres pièces. Dans Wilhelm Meister, les scènes de marionnettes ou de fête au château. Dans La Chute de la maison Usher, la lecture que l'on fait à Roderick, etc. Aucun de ces exemples n'est absolument juste. Ce qui le serait beaucoup plus, ce qui dirait mieux ce que j'ai voulu dans mes Cahiers, dans mon Narcisse et dans La Tentative, c'est la comparaison avec ce procédé du blason qui consiste, dans le premier, à en mettre un second „en abyme“ ».

Explicitant les exemples livrés dans une première approximation, la référence à l'art héraldique invite ainsi à concevoir la mise en abyme comme un fait de structure intéressant différents systèmes de signes – iconiques, indiciels, symboliques – et susceptible de la définition suivante : est mise en abyme toute enclave ayant pour référent la totalité qui lui sert de cadre.

La littérature en ses miroirs

L'élaboration typologique déployée dans Le Récit spéculaire établit que la réflexion, exercée le plus souvent par une « œuvre dans l'œuvre » (tableau, pièce de théâtre, morceau de musique, roman, conte, nouvelle, etc.), peut se spécifier selon qu'elle porte sur l'énoncé, l'énonciation ou le code de l'ensemble où elle opère. Elle fait valoir en outre qu'une mise en abyme ne se qualifie pas seulement par l'objet qu'elle réfléchit, mais aussi par la nature du rapport analogique qui prévaut entre sujet et objet de la réflexion.

Sur la base des exemples produits par Gide ou des illustrations qu'on pourrait emprunter, dans son sillage, aussi bien à l'histoire de la littérature (les romans de Jean Paul ou les nouveaux romans en fournissent une mine), de la peinture (Le Mariage Arnolfini de Van Eyck ou certains tableaux paradoxes de Magritte ou d'Escher), voire d'autres médias (cinéma et publicité notamment), on s'avise en effet que le degré de ressemblance entre agent réflecteur et ensemble réfléchi, selon qu'il relève de la similitude, du mimétisme strict ou de l'identité postulée, détermine trois modalités réflexives fondamentales : la réflexion « simple », c'est-à-dire la duplication intérieure symbolisée par l'image du blason dans le blason ou le « modèle réduit » (il en va ainsi pour la plupart des « œuvres dans l'œuvre », telle par exemple la représentation de[...]

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Écrit par

  • : professeur ordinaire (littérature française moderne et théorie littéraire), faculté des lettres, université de Genève

Classification

Pour citer cet article

Lucien DÄLLENBACH. MISE EN ABYME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Les Ménines</it>, D. Velázquez - crédits : Imagno/ Getty Images

Les Ménines, D. Velázquez

<it>Portrait des époux Arnolfini</it>, J. Van Eyck - crédits :  Bridgeman Images

Portrait des époux Arnolfini, J. Van Eyck

Autres références

  • BUTOR MICHEL (1926-2016)

    • Écrit par Jean ROUDAUT
    • 2 924 mots
    • 1 média
    ...histoires littéraires. La fiction réfléchit son système et donne à lire sa construction. L'usage quasi systématique de ce qu'André Gide avait nommé la «  mise en abyme », c'est-à-dire la répétition dans le récit de son motif, sera un des traits caractéristiques du roman contemporain. Il n'est pas la seule...
  • LES FAUX-MONNAYEURS, André Gide - Fiche de lecture

    • Écrit par Alain CLERVAL
    • 1 002 mots
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    André Gide (1869-1951), Prix Nobel de littérature en 1947, et en qui Malraux a vu « le contemporain capital », aura exercé une influence considérable tout au long de l'entre-deux-guerres, notamment sur la jeunesse. À partir des années 1920, Les Nourritures terrestres (1897) furent l'évangile...

  • GIDE ANDRÉ (1869-1951)

    • Écrit par Éric MARTY
    • 3 662 mots
    • 2 médias
    ... Les Faux-Monnayeurs, plus ambitieux, reprend les grands thèmes gidiens ; mais le livre se caractérise surtout par la technique radicale de la «  mise en abyme », déjà expérimentée précédemment : le roman dans le roman. La narration tourne circulairement sur elle-même puisque son personnage principal,...
  • POSTMODERNISME

    • Écrit par Carla CANULLO, Romain JOBEZ, Erik VERHAGEN
    • 5 159 mots
    ...artistique et la production de parcours, 2004). Cet « équipement collectif » est d'autant plus intrigant qu'il peut s'enrichir de mises en abyme que l'on imagine incessantes. On peut citer à titre d'exemple la vidéo Baldessari sings Lewitt, réalisée en 1972 par l'artiste...

Voir aussi