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SIMON CLAUDE (1913-2005)

Une mémoire en mouvement

Dans les années 1980, Simon recommence à explorer sa mémoire personnelle et familiale et assume la « disparition progressive du fictif ». Les recherches formelles de la période précédente vont toutefois ouvrir la voie à des livres sommes à l’architecture complexe. Les Géorgiques (1981) confronte les récits de trois combattants qui écrivent : l’ancêtre de l’écrivain, le conventionnel Lacombe-Saint-Michel ; un jeune Anglais à Barcelone qui ressemble à George Orwell pendant la guerre d’Espagne et un brigadier de 1940, proche de l’auteur mais aussi de Georges, le personnage de La Route des Flandres. La structure du roman, musicale, évoque celle de la fugue (exposition des thèmes, développement, reprises, amplifications, modulations) : l’histoire se répète, gouvernée comme l’agriculture par un temps cyclique ; la guerre et la terre se mêlent ironiquement, comme chez Virgile.

Le livre rencontre un accueil très favorable de la critique, qui concourt à l’attribution du prix Nobel de littérature à Claude Simon, le 17 octobre 1985. Cette consécration internationale surprend en France – il se trouve même certains pour s’en indigner – tant la discrétion médiatique de Simon a accentué la confidentialité d’une œuvre trop souvent perçue comme illisible. Il expose ses idées sur le roman dans son Discours de Stockholm (1986). Le prix Nobel est aussi à l’origine d’une invitation en Union soviétique, avec un groupe d’invités de marque, qu’il raconte avec une ironie corrosive et énigmatique dans L’Invitation (1987).

Les trois derniers livres seront encore plus intimes et « à base de vécu ». LAcacia (1989) s’inscrit dans le prolongement direct d’Histoire, puisqu’il se clôt sur le motif de l’acacia, incipit d’Histoire. Le roman s’ouvre sur l’image d’un enfant cherchant avec sa mère la tombe de son père dans les ruines de la guerre de 1914 et se termine sur celle d’un jeune homme qui, revenu de la déroute de 1940, se met à écrire. Entre les deux, une tapisserie de souvenirs personnels et de légendes familiales se tisse autour du mélodrame parental : sa mère, riche et indolente, tombe amoureuse d’un fils de paysans pauvres devenu officier grâce au sacrifice de ses sœurs, l’épouse malgré sa famille, avant de le voir emporté par la guerre et de mourir de chagrin : « À quoi bon inventer quand la réalité dépasse à ce point la fiction ? » Le Jardin des plantes (1997) revient sur les mêmes matériaux mémoriels, mais, grâce à une mise en page très inhabituelle, il dresse en outre le portrait de la mémoire, à la manière d’un jardin dans lequel la nature (le vécu) est construite par l’écriture. Les pages sont composées de blocs de texte disposés en colonnes de disposition variable, invitant à la lecture simultanée de plusieurs épisodes : « J’ai essayé de donner une image de l’imbrication des souvenirs […] le livre est construit comme le portrait d’une mémoire, avec ses circonvolutions, ses associations, ses retours sur elle-même. »

Le Tramway (2001), enfin, brosse une peinture émouvante et mélancolique du temps perdu de l’enfance à Perpignan. Métaphore du chemin de la vie, le récit va et vient entre le temps du vieil homme malade à l’hôpital et celui de l’enfant dont la mère agonise. La possibilité de raconter sa vie y est subtilement mise en doute, à travers le jeu intertextuel avec l’œuvre de Proust. Et Simon donne un excipit très proustien à son œuvre en évoquant le caractère nébuleux de la mémoire, dernier mot du dernier roman : « l’impalpable et protecteur brouillard de la mémoire ». Il meurt le 6 juillet 2005, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. En 2006, ses principaux romans sont publiés dans la Bibliothèque de la Pléiade, à partir du choix qu’il avait fait lui-même. Pour son centenaire, en 2013, cette édition est complétée et une exposition, [...]

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Écrit par

  • : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France

Classification

Pour citer cet article

Christine GENIN. SIMON CLAUDE (1913-2005) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Claude Simon - crédits : Louis Monier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Claude Simon

<em>Jambes</em>, C. Simon - crédits : Centre Pompidou/ MNAM-CCI/ Philippe Migeat/ RMN-Grand Palais ;  avec l'aimable autorisation de Mireille Calle-Gruber, ayant droit moral pour l'oeuvre de Claude Simon

Jambes, C. Simon

Autres références

  • HISTOIRE, Claude Simon - Fiche de lecture

    • Écrit par Christine GENIN
    • 838 mots
    • 2 médias

    Couronné par le prix Médicis, Histoire constitue un tournant dans l'œuvre de Claude Simon (1913-2005) : appartenant au cycle « familial » ouvert par L'Herbe, le roman annonce par sa construction La Bataille de Pharsale et par sa thématique familiale et mémorielle les œuvres de la maturité...

  • LE JARDIN DES PLANTES (C. Simon) - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-Didier WAGNEUR
    • 1 339 mots

    Le Jardin des Plantes de Claude Simon (éditions de Minuit, Paris) a constitué l'événement de la rentrée littéraire 1997. L'attribution à l'écrivain du prix Nobel de littérature en 1989 avait scandalisé une partie de la critique littéraire. Puis, insensiblement, elle a fait de lui un « classique » et...

  • L'ACACIA, Claude Simon - Fiche de lecture

    • Écrit par Christophe MERCIER
    • 1 353 mots
    • 1 média

    Dans le paysage des lettres françaises de la seconde moitié du xxe siècle, l'œuvre de Claude Simon (1913-2005), couronnée en 1985 par le prix Nobel, s'affirme comme l'une des plus puissantes. Paru en 1989, L'Acacia est une tentative pour retourner aux sources de la mémoire...

  • LE TRAMWAY (C. Simon)

    • Écrit par Christine GENIN
    • 1 005 mots

    Un enfant dont la mère est en train de mourir se rend au collège en tramway ; un vieil homme renaît à la conscience dans la chambre de transit d'un hôpital. Autour de ces deux images, Le Tramway (Minuit, Paris, 2001), Claude Simon compose la fresque fragile et émouvante d'une mémoire....

  • DESCRIPTION

    • Écrit par Jean-Michel ADAM
    • 3 152 mots
    ...peut ajouter une description productive, dernière tendance qui est parfois à l'œuvre dans des textes antérieurs, bien sûr, et que résument ces lignes de Claude Simon : « Est-ce qu'il n'est donc pas permis de se demander non seulement si, de même qu'indépendamment des choses représentées (nature morte,...
  • LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

    • Écrit par Dominique RABATÉ
    • 7 278 mots
    • 13 médias
    ...lui consacrant une étude publiée dès 1931. Car c’est bien la forme personnelle du temps revécu qui devient le terrain de la littérature, une leçon que Claude Simon (1913-2005, prix Nobel de littérature en 1985) reprend, en lui donnant l’allure inspirée des monologues remémoratifs de William Faulkner....
  • LITTÉRATURE FRANÇAISE CONTEMPORAINE

    • Écrit par Dominique VIART
    • 10 290 mots
    • 10 médias
    ...Gracq (Jean-Paul Goux), Cervantès et Quevedo concurremment à Pascal et Descartes pour Lydie Salvayre. Après Beckett, qui fascine Chevillard et Gailly, Claude Simon constitue un modèle pour nombre d’entre eux, réunis autour de son œuvre, quand bien même ils ne pratiquent pas la même esthétique : Yves Ravey,...
  • NOUVEAU ROMAN. CORRESPONDANCE 1946-1999 (ouvrage collectif) - Fiche de lecture

    • Écrit par Christine GENIN
    • 1 243 mots
    Il faut attendre mars 1957 pour qu’entrent en scène les quatre autres membres du septuor, la doyenne Nathalie Sarraute (1900-1999), Claude Simon (1913-2005), Claude Mauriac (1914-1996) et Michel Butor (1926-2016), le benjamin. Bernard Dort est le premier à employer l’expression « nouveau roman...

Voir aussi