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SIMON CLAUDE (1913-2005)

Description fragmentaire d’un désastre

En 1945, Claude Simon fait son entrée en littérature avec Le Tricheur, un roman encore très influencé par Faulkner et l’existentialisme. Il publie ensuite La Corde raide (1947), un texte très sombre marqué par le suicide de sa jeune épouse en octobre 1944. Ce n’est pas un roman mais une « méditation autobiographique » dont les premières lignes font écho au début de À la recherche du temps perdu, un art poétique où la peinture (Cézanne en particulier) est très présente. En 1951, atteint de tuberculose, Simon est opéré : « J’ai vécu durant cinq mois allongé. Avec pour seul théâtre une fenêtre. Quoi ? Que faire ? […] regarder avidement. Et se souvenir. » Cette expérience de la maladie, où le regard et la mémoire occupent une place centrale, entraîne une « mutation » de son écriture. En 1951, il se marie pour la deuxième fois, avec Yvonne Ducuing, artiste et femme de caractère. Suivent Gulliver (1952) et Le Sacre du printemps (1954), deux romans dans lesquels on trouve déjà les thèmes de son œuvre à venir. Il reniera pourtant toute sa vie ses quatre premiers livres, n’y voyant qu’autant de tâtonnements.

C’est avec Le Vent. Tentative de restitution dun retable baroque (1957) que Claude Simon considère avoir trouvé sa manière propre. Ce roman est le premier à être publié par les éditions de Minuit, où les auteurs de ce qui va devenir le nouveau roman sont en train de se rassembler. En 1956, Simon a fait la connaissance d’Alain Robbe-Grillet, alors conseiller littéraire de Jérôme Lindon, à qui il a transmis le manuscrit du Vent. Simon rencontre aussi Michel Butor, dont La Modification paraît cette même année 1957. L’Herbe (1958) inaugure un cycle familial, autour des personnages appartenant à une famille fictive calquée sur la sienne : «LHerbe marque chez moi un tournant. C’est à partir de ce texte que mes romans sont devenus pratiquement "autobiographiques" ».

La Route des Flandres, qui obtient le prix de L’Express en 1960, est bien accueilli par la critique et demeure l’un de ses romans les plus célèbres et les plus étudiés. Au présent d’une conscience traversée d’images, d’émotions confuses, d’hypothèses, de souvenirs et de dialogues reconstitués, Simon évoque son expérience de la débâcle de 1940. Une question obsédante, « mais comment savoir ? » scande cette « description fragmentaire d’un désastre », premier titre envisagé. Cette même année, Simon signe le Manifeste des 121, qui prône le droit à l’insoumission contre la guerre d’Algérie. En 1962, il rencontre Réa Karavas, lors d’un dîner chez les Lindon ; ils vivent rapidement ensemble, mais il ne divorcera d’Yvonne Ducuing que quinze ans plus tard, pour épouser Réa en 1978. Le Palace (1962) évoque son expérience de la guerre d’Espagne, dénonçant l’illusion de croire que l’homme peut faire l’histoire plutôt que la subir.

<em>Jambes</em>, C. Simon - crédits : Centre Pompidou/ MNAM-CCI/ Philippe Migeat/ RMN-Grand Palais ;  avec l'aimable autorisation de Mireille Calle-Gruber, ayant droit moral pour l'oeuvre de Claude Simon

Jambes, C. Simon

Avec ces quatre romans, Simon a trouvé son style. Sa prose fait une large part aux descriptions visuelles, riches et détaillées, et sa phrase, foisonnante, s’efforce de transcrire avec exactitude les mouvements de la conscience. Il multiplie parallèles et contrastes, résonances et correspondances, et joue sur divers registres, du tragique au comique en passant par une ironie corrosive. Déployant une vaste intertextualité et une imagerie tirée de la Bible et des textes antiques, il mêle le particulier et l’universel, l’ordinaire et le mythe. Comme les autres membres du nouveau roman – et même si leurs écritures sont toutes singulières –, il rejette l’héritage du réalisme et l’illusion d’une référence directe au réel.

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Écrit par

  • : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France

. In Encyclopædia Universalis []. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Claude Simon - crédits : Louis Monier/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Claude Simon

<em>Jambes</em>, C. Simon - crédits : Centre Pompidou/ MNAM-CCI/ Philippe Migeat/ RMN-Grand Palais ;  avec l'aimable autorisation de Mireille Calle-Gruber, ayant droit moral pour l'oeuvre de Claude Simon

Jambes, C. Simon

Autres références

  • HISTOIRE, Claude Simon - Fiche de lecture

    • Écrit par Christine GENIN
    • 838 mots
    • 2 médias

    Couronné par le prix Médicis, Histoire constitue un tournant dans l'œuvre de Claude Simon (1913-2005) : appartenant au cycle « familial » ouvert par L'Herbe, le roman annonce par sa construction La Bataille de Pharsale et par sa thématique familiale et mémorielle les œuvres de la maturité...

  • LE JARDIN DES PLANTES (C. Simon) - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-Didier WAGNEUR
    • 1 339 mots

    Le Jardin des Plantes de Claude Simon (éditions de Minuit, Paris) a constitué l'événement de la rentrée littéraire 1997. L'attribution à l'écrivain du prix Nobel de littérature en 1989 avait scandalisé une partie de la critique littéraire. Puis, insensiblement, elle a fait de lui un « classique » et...

  • L'ACACIA, Claude Simon - Fiche de lecture

    • Écrit par Christophe MERCIER
    • 1 353 mots
    • 1 média

    Dans le paysage des lettres françaises de la seconde moitié du xxe siècle, l'œuvre de Claude Simon (1913-2005), couronnée en 1985 par le prix Nobel, s'affirme comme l'une des plus puissantes. Paru en 1989, L'Acacia est une tentative pour retourner aux sources de la mémoire...

  • LE TRAMWAY (C. Simon)

    • Écrit par Christine GENIN
    • 1 005 mots

    Un enfant dont la mère est en train de mourir se rend au collège en tramway ; un vieil homme renaît à la conscience dans la chambre de transit d'un hôpital. Autour de ces deux images, Le Tramway (Minuit, Paris, 2001), Claude Simon compose la fresque fragile et émouvante d'une mémoire....

  • DESCRIPTION

    • Écrit par Jean-Michel ADAM
    • 3 152 mots
    ...peut ajouter une description productive, dernière tendance qui est parfois à l'œuvre dans des textes antérieurs, bien sûr, et que résument ces lignes de Claude Simon : « Est-ce qu'il n'est donc pas permis de se demander non seulement si, de même qu'indépendamment des choses représentées (nature morte,...
  • LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

    • Écrit par Dominique RABATÉ
    • 7 278 mots
    • 13 médias
    ...lui consacrant une étude publiée dès 1931. Car c’est bien la forme personnelle du temps revécu qui devient le terrain de la littérature, une leçon que Claude Simon (1913-2005, prix Nobel de littérature en 1985) reprend, en lui donnant l’allure inspirée des monologues remémoratifs de William Faulkner....
  • LITTÉRATURE FRANÇAISE CONTEMPORAINE

    • Écrit par Dominique VIART
    • 10 290 mots
    • 10 médias
    ...Gracq (Jean-Paul Goux), Cervantès et Quevedo concurremment à Pascal et Descartes pour Lydie Salvayre. Après Beckett, qui fascine Chevillard et Gailly, Claude Simon constitue un modèle pour nombre d’entre eux, réunis autour de son œuvre, quand bien même ils ne pratiquent pas la même esthétique : Yves Ravey,...
  • NOUVEAU ROMAN. CORRESPONDANCE 1946-1999 (ouvrage collectif) - Fiche de lecture

    • Écrit par Christine GENIN
    • 1 243 mots
    Il faut attendre mars 1957 pour qu’entrent en scène les quatre autres membres du septuor, la doyenne Nathalie Sarraute (1900-1999), Claude Simon (1913-2005), Claude Mauriac (1914-1996) et Michel Butor (1926-2016), le benjamin. Bernard Dort est le premier à employer l’expression « nouveau roman...

Voir aussi