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BLUES

Le blues prend forme vocale et instrumentale originale au sein de la population noire du sud des États-Unis d'Amérique dans la seconde moitié du xixe siècle. Né de l'esclavage, où les Noirs étaient traités plus comme un capital d'exploitation fermier ou ouvrier que comme des êtres humains, nourri par le racisme, la ségrégation et la misère, il en porte la douleur et en exprime le climat d'affliction, mais témoigne aussi de la vitalité de ses inventeurs.

Plus parole que musique, malgré une structure harmonique bientôt définie, il est une chronique autobiographique et poétique qui, toujours entre humour et mélancolie, métaphore et lucidité, inscrit dans l'universel la joie et le malheur, l'espoir et la souffrance d'un groupe d'individus, et lui donne statut.

Ainsi, assimilant tous les folklores, se développant parallèlement aux autres formes musicales que sont les spirituals, la musique country et le jazz, le blues marquera-t-il de son empreinte toutes les musiques populaires qui ont émergé au xxe siècle.

Origine et définition

Lorsque les chants, les musiques et les langues des terres africaines razziées par les marchands d'esclaves, mais coupés de leur fonction rituelle, sociale et culturelle, fragmentés par l'oubli, déformés par l'interdit et le refoulement, rencontrent les sons, danses, chants et musiques des terres américaines, langues anglaise, française, allemande, berceuses, comptines, hymnes, chansons et ballades, gavotte, valse, quadrille ou polka, les œuvres classiques ou populaires du répertoire orchestral européen, commence la lente genèse du blues, musique qui n'a pas vraiment d'origine, mais qui, moyen de communication, de reconnaissance et d'ascension sociale, comme l'atteste la plus-value donnée aux musiciens dans les ventes d'esclaves, signe l'inscription du Noir dans sa nouvelle société.

Viennent d'abord : les chants de travail, les cris et les appels, qui rythment le labeur aux champs ou sur les chantiers ; les mélopées, les fredonnements ou les « petits airs » que remarque Thomas Jefferson en 1787 dans ses Notes on the State of Virginia ; le violon, qui distrait et fait danser les maîtres et qui, joint au banjo et aux morceaux de bois ou d'os qui remplacent les tambours interdits par le « Code noir », enchante aussi les esclaves ; les chants religieux, empruntés pour l'essentiel à la liturgie protestante... d'où naissent, avec le minstrel show, d'abord composé de Blancs à face noircie (1843), puis de Noirs (Georgia Minstrels, 1865), le spiritual – dont la première manifestation organisée sera la mise sur pied, le 6 octobre 1871, de la tournée des Fisk University Jubilee Singers –, le jazz et enfin le blues, né sans doute entre 1865 et 1870, c'est-à-dire après la guerre de Sécession, après l'abolition de l'esclavage.

Descendant de l'art du griot, du conteur d'Afrique, évoquant la figure du trobar, le troubadour de la Provence des xiie et xiiie siècles, le blues est là dès que le Noir se parle à lui-même, mais il ne pouvait trouver sa forme et son espace qu'à partir de l'identité de ses inventeurs. Esclave, le Noir est sans nom, ne s'appartient pas. Libre, et bien que sa condition n'en soit souvent nullement améliorée, il peut chanter en son nom, chanteur qui exprime un groupe dont il est en même temps l'expression. Ainsi peut-il raconter son histoire et l'histoire de son peuple, créer mythes et poèmes, dire ce qu'il vit, et parler d'amour, l'amour de la femme comme celui de la langue, amour gourmand dont dépend l'humour. Car le blues, enfanté dans la douleur, ne peut exister que dans la liberté du sujet.

L'origine du mot lui-même est indécise (to be blue, broyer du noir, ou blue devils, improbables lutins ou feux follets venus[...]

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Classification

Pour citer cet article

Francis HOFSTEIN. BLUES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Trois gammes de blues - crédits : Encyclopædia Universalis France

Trois gammes de blues

Bessie Smith - crédits : Franck Driggs Collection / Archive Photos

Bessie Smith

Mississippi John Hurt - crédits : Bernard Gotfryd / Archive Photos

Mississippi John Hurt

Autres références

  • 37th Chamber, PINE (Courtney)

    • Écrit par Eugène LLEDO
    • 340 mots

    Britannique d'origine jamaïcaine, Courtney Pine est l'homme de toutes les rencontres et de toutes les fusions. Né à Londres le 18 mars 1964, ce saxophoniste ténor et soprano commence par jouer dans des groupes de reggae et de funk, puis fait ses premières incursions dans le jazz...

  • ALLISON LUTHER (1939-1997)

    • Écrit par Francis HOFSTEIN
    • 755 mots

    Dans ce mouvement perpétuel où s'inscrit, entre langue vernaculaire et culture de masse, une musique noire américaine toujours entre disparition et renaissance, les générations se chevauchent, et coexistent tous les styles. De son appartenance à la troisième génération, prise entre blues...

  • ARMSTRONG LOUIS - (repères chronologiques)

    • Écrit par Pierre BRETON
    • 692 mots

    4 août 1901 Louis Armstrong naît à La Nouvelle-Orléans. Plusieurs autres dates ont été avancées, parmi lesquelles le 4 juillet 1900, jour de la fête nationale américaine (Independence Day) ; la date du 4 août 1901 semble désormais avérée.

    1913-1914 À cause d'un coup de feu tiré en...

  • ATLANTIC RECORDS

    • Écrit par Universalis, Charlie GILLETT
    • 418 mots

    Fondée à New York, en septembre 1947, par deux fans de jazz, Ahmet Ertegun, fils d'un diplomate turc, et Herb Abramson, ancien directeur artistique chez National Records, la firme discographique Atlantic Records va, jusqu'à la fin des années 1960, s'imposer comme le plus important des labels indépendants...

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Voir aussi