Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LAVIER BERTRAND (1949- )

L'artiste français Bertrand Lavier, né à Châtillon-sur-Seine en 1949, vit et travaille à Aignay-le-Duc (Côte-d'Or). Sa démarche artistique est paradoxale en ce qu'elle met en perspective critique les fondements de nos évaluations esthétiques, sans pour autant abandonner le caractère éminemment « rétinien » des œuvres. Lavier continue à sa manière la réflexion visuelle inaugurée par le Nouveau Réalisme, et plus précisément par Raymond Hains. Ne s'attachant à aucun moyen plastique en particulier, Lavier investit tous les registres de l'art contemporain : du son à l'installation, de la peinture au cinéma, de la sculpture à la photographie, de l'infographie à la musique... Depuis sa première exposition chez Lara Vincy à Paris en 1973 à celle du château de Rivoli près de Turin en 1996, en passant par les rétrospectives du musée d'Art moderne de la Ville de Paris (1985) et du Musée national d'art moderne (1991), il est possible de percevoir chez lui un intérêt récurrent : celui de situer son art au cœur des hiatus qu'engendre le processus de la représentation.

Prendre à la lettre les choses de l'art

La logique visuelle mise en place par Bertrand Lavier possède la clarté et la distinction de l'évidence cartésienne : « Je pense, donc je suis une chose pensante. » Ainsi, pour peindre un objet, il le recouvrira de peinture. Gabriel Gaveau (1981), un piano peint, à l'aide d'une touche qu'il qualifie lui-même de « touche Van Gogh », d'une couleur identique à celle qu'elle recouvre, constitue l'emblème d'une série (Lavier parle de chantier) d'objets manufacturés repeints qui – du réfrigérateur (Westinghouse, 1981) à l'extincteur (Sicli NC2), de l'échelle (Star VP, 1982) et des placards métalliques (Mademoiselle Gauducheau, 1981, Musée national d’art moderne, Paris) à la voiture (Mercedes 190, 1990), au soc de charrue (John Deere, 1988) et aux Vitrines (2000) – conservent tous leur valeur d'usage : ce qui les distingue des ready-made de Marcel Duchamp ou des boîtes en bois peintes Brillo (1964) d'Andy Warhol. Ces pièces n'étant ni tout à fait peintures, ni tout à fait objets jouent sur l'ambiguïté des principes même de l'art. On le voit, la démarche de Bertrand Lavier ne consiste pas à affronter les questions artistiques dans l'esprit spéculatif (et tautologique) du conceptualisme, mais à en exhiber simplement (et surtout physiquement) les contradictions en prenant à la lettre les choses de l'art.

C'est en effet avec les armes de l'évidence que Lavier sème le trouble au sein des évidences visuelles, comme c'est avec la peinture qu'il met la peinture en porte à faux avec elle-même. Avec une déconcertante tranquillité, qui n'est pas sans rappeler celle d'un René Magritte, il démonte une à une les prétentions à l'autonomie, voire à la spécificité, des catégories des beaux-arts. Avec sa série des objets peints, Lavier aime se jouer de l'opposition traditionnelle entre peinture et sculpture. En recouvrant de peinture un objet, il révèle du même coup un des présupposés les plus classiques de la sculpture : celui de constituer le refoulé de la peinture. Certains objets peints, comme les miroirs (Peinture, 1984), les tables de ping-pong (Green Phantom, 1988) ou les panneaux de signalisation routière (Compositions), permettent à Lavier de poser plus frontalement la question de la peinture. La proximité de ces pièces avec l'esthétique moderniste est flagrante ; l'ironie en est elle-même décapante. Pourtant il ne s'agit pas pour l'artiste de se moquer d'une esthétique dont il se sent par ailleurs assez proche, mais plutôt de retrouver dans un paysage quotidien des correspondances et des analogies avec l'histoire visuelle de notre temps[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : critique d'art, professeur d'esthétique à l'École nationale d'arts de Cergy-Pontoise
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Universalis et Bernard MARCADÉ. LAVIER BERTRAND (1949- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • FIRMAN DANIEL (1966- )

    • Écrit par Valérie DA COSTA
    • 924 mots
    D’autres sculptures revisitent avec humour certaines réalisations de Bertrand Lavier. Le Brandt sur Fichet-Bauche (1985) de Lavier, qui dans les années 1980 s’amusait de l’héritage de Marcel Duchamp en affirmant : « Ceci est un réfrigérateur, ceci est un coffre-fort, mon tout est bien une sculpture...
  • SCULPTURE CONTEMPORAINE

    • Écrit par Paul-Louis RINUY
    • 8 011 mots
    • 4 médias
    ...compatriote Bill Woodrow figure un Elephant (1984) en assemblant des portières de voitures, un aspirateur, une planche à repasser, des cartes murales. Bertrand Lavier dresse un réquisitoire sans appel contre le monde actuel en inventant, dans la lignée de Duchamp et du pop art américain, des « ...

Voir aussi