Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

READY-MADE

De toutes les expressions ajoutées par le xxe siècle au vocabulaire de l'art, bien peu auront connu la fortune de celle que lança un jour Marcel Duchamp (1887-1968). Peu auront suscité autant de débats, et probablement de malentendus. Même s'il est exclu de faire en quelques pages le tour d'un sujet si controversé, on peut au moins se demander : qu'est-ce qu'un ready-made ?

Vingt ans pour une définition

On commencera par noter que, pour poser ainsi la question, il faut que ready-made soit un substantif. Or il s'agit en anglais prioritairement d'un adjectif qui a fait son apparition au milieu du xixe siècle, dans le domaine de la confection, avec le sens de « prêt-à-porter », opposé au classique « sur mesure ». En 1915, date de l'arrivée de Duchamp à New York, l'acception du terme pouvait déborder le territoire de la mode et signifier quelque chose comme « prêt à l'emploi ».

Marcel Duchamp - crédits : Bettmann/ Getty Images

Marcel Duchamp

On trouve le mot pour la première fois sous la plume de l'artiste dans une lettre expédiée de New York à sa sœur Suzanne, le 15 janvier 1916 : « Maintenant si tu es montée chez moi tu as vu dans l'atelier une roue de bicyclette et un porte-bouteilles. – J'avais acheté cela comme une sculpture toute faite. Et j'ai une intention à propos de ce dit porte-bouteilles : Écoute. Ici, à N.Y., j'ai acheté des objets dans le même goût et je les traite comme des « readymade » tu sais assez d'anglais pour comprendre le sens de « tout fait » que je donne à ces objets – Je les signe et je leur donne une inscription en anglais. Je te donne qques exemples :

J'ai par exemple une grande pelle à neige sur laquelle j'ai inscrit en bas : In advance of the broken arm. Traduction française : En prévision du bras cassé. Ne t'escrime pas trop à comprendre dans le sens romantique ou impressionniste ou cubiste – cela n'a aucun rapport avec ; Un autre « readymade » s'appelle : Emergency in favor of twice. Traduction française possible : Danger/Crise/ en faveur de deux fois. Tout ce préambule pour te dire : Prends pour toi ce porte-bouteilles. J'en fais un « Readymade » à distance. Tu inscriras en bas et à l'intérieur du cercle du bas en petites lettres peintes avec un pinceau à l'huile en couleur blanc d’argent l'inscription que je vais te donner ci après. Et tu signeras de la même écriture comme suit : [d'après] Marcel Duchamp. »

On remarquera que Duchamp adopte sans tergiverser la forme substantive, mais avec deux orthographes différentes. Bien plus tard, il recommandera, dans une note à Michel Sanouillet : « Je préfère Ready-made, en italiques et cela s'accorde. »

Mais on notera surtout que l'artiste donne là un embryon de définition (« sculpture toute faite »), une première liste, et une première indication de recette ou de méthode : ajouter, fût-ce par procuration, une signature et une phrase sur un objet. Premiers éclaircissements et premiers mystères : personne n'a jamais pu déterminer ce qu'était Emergency in favor of twice, et le second feuillet de la lettre, porteur de l'inscription qui devait être apposée sur le porte-bouteilles, a disparu, comme avait disparu aussi l'objet, lorsque la lettre parvint à sa destinataire.

La suite ne dissipera ces mystères que pour mieux les relancer. Il faut attendre une vingtaine d'années pour trouver, dans le fameux texte de Breton « Phare de La Mariée » (Minotaure, no 6, hiver 1935), une première définition mise en forme des Ready-mades. S'inspirant des notes de l'artiste parues dans sa Boîte verte en 1934, Breton décrit l'activité de Duchamp comme « les diverses spéculations auxquelles l'a entraîné la considération de ces ready made (objets manufacturés promus à la dignité d'objets d'art par le choix de l'artiste)[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur à l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris

Classification

Autres références

  • ROUE DE BICYCLETTE (M. Duchamp)

    • Écrit par
    • 243 mots
    • 1 média

    La Roue de bicyclette, premier ready-made réalisé par Marcel Duchamp en 1913, déconcerte d'abord par son caractère surréaliste avant la lettre. Aussi étrange qu'elle paraisse, cette association hétéroclite de deux objets ordinaires qui ne doit plus rien au savoir-faire traditionnel de l'artiste,...

  • ANTI-ART

    • Écrit par
    • 3 064 mots
    • 1 média
    ...internationales du surréalisme, a souterrainement favorisé une résistance critique contre les mythes, contre les poncifs, contre le professionnalisme de l'art. Les ready-made de Duchamp – ainsi que les objets de Man Ray – ont servi de balises, sinon de repères, dans cette clandestine aventure. Tout s'est donc...
  • ART (L'art et son objet) - L'œuvre

    • Écrit par
    • 2 290 mots
    • 5 médias
    Qu'un savoir-faire ne soit pas l'unique voie vers l'œuvre,le ready-made en a fait la démonstration. Objet manufacturé, il est choisi par l'artiste et élevé, comme l'a dit Duchamp, « à la dignité d'œuvre d'art », en tant qu'une œuvre qui ne serait pas d'art, mais à égale dignité avec elle. Andy Warhol,...
  • ART (L'art et son objet) - La reproduction en art

    • Écrit par
    • 2 030 mots
    • 4 médias
    ..., s'est en effet employé à concevoir des créations plastiques dont la duplication ne s'appuie sur aucun « original ». Sur un autre registre, les ready-mades et leurs dérivés disqualifient d'entrée de jeu la notion d'original. Marcel Duchamp s'en réjouit : « La réplique d'un ...
  • ART (L'art et son objet) - Création contemporaine

    • Écrit par
    • 3 574 mots

    À la veille de la Première Guerre mondiale, Marcel Duchamp ouvrait avec le readymade un nouveau chapitre de l'art moderne. Un tabouret surmonté d'une roue de bicyclette (1913), puis un porte-bouteilles (1914), une pelle à neige (In advance of the broken arm, 1915), un urinoir (Fountain...

  • Afficher les 18 références