Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BEL CANTO

Par bel canto on désigne trop souvent les esthétiques vocales les plus disparates, sans aucune pertinence musicologique. L'expression est ainsi employée dans un sens générique et familier pour qualifier l'opéra en général, quel qu'en soit le style, ou l'époque, afin de le distinguer de la musique symphonique ou religieuse. L'étymologie italienne, si elle vient à restreindre le champ culturel de cette dénomination, ne lui assigne que rarement un cadre temporel précis et s'accompagne, le plus souvent, d'une nuance péjorative. Le bel canto est alors assimilé à la vocalité exacerbée du chant italien, romantique ou vériste, dont le contre-ut passe, souvent à tort, pour être le signe emblématique. L'expression même de bel canto, née de père inconnu, n'est apparue dans le langage que plus d'un siècle après l'émergence de l'esthétique à laquelle elle renvoie. C'est en effet au moment ou la poétique belcantiste, essentiellement liée à l'art des castrats, vient à s'estomper au profit du romantisme naissant que les nostalgiques de son âge d'or forgent ce qualificatif nouveau, comme on exhale un regret. Ainsi Stendhal en 1817.

À l'époque de ce qu'aujourd'hui on appelle le bel canto, soit entre 1680 et 1820, l'usage est plutôt de parler de buon canto, expression relevée dans les célèbres Opinioni de' cantori antichi e moderni de Pier Francesco Tosi (1723). Castrat, pédagogue mais aussi compositeur, ce dernier développe une philosophie du chant indissociable du genre lyrique qu'il s'applique à servir : le bel canto originel. Cette esthétique marque une rupture avec celle qui dominait depuis le début du siècle précédent, notamment à Florence au sein de la Camerata Bardi, où prévalait le recitar cantando, c'est-à-dire le discours affranchi des entrelacs de la polyphonie et un art de dire autant que de chanter, dont Jacopo Peri, Emilio de' Cavalieri et Giulio Caccini devaient être les meilleurs artisans. Dans son recueil Le Nuove Musiche (Florence, 1602), ce dernier exposait les principes d'il buon modo di cantare que ses successeurs allaient quelque peu subvertir. D'une époque à l'autre se dessineront les contours d'un style d'opéra nouveau, de profil baroque, le seul auquel il convienne d'accoler, rétrospectivement, l'appellation bel canto.

Du « recitar » florentin au « cantar » baroque

La nouvelle donne musicale tient en un renversement des rapports entre chant et texte. Alors que le modèle de la tragédie grecque pesait sur l'opéra florentin, affirmant la supériorité platonicienne du mot sur le son, l'opéra baroque, tel qu'il apparaît et se développe ensuite à Rome, puis à Venise, libère progressivement la ligne vocale de la tutelle du mot. Au récitatif bientôt jugé plat et aride se substitue, dans les opéras d'un Stefano Landi (1586 ou 1587-1639) ou d'un Luigi Rossi (1597 env.-1653), l'arioso puis l'aria distincte du recitativo secco qui l'introduit. À Rome, la création par les Barberini du Teatro delle Quattro Fontane, dans les années 1620, attise le goût pour le démonstratif, les scénographies somptueuses du Bernin offrant un magistral contrepoint aux efflorescences vocales. Monteverdi lui-même, influencé à ses débuts par l'éthique florentine, comme en témoigne notamment son Orfeo de 1607, inscrira son Retour d'Ulysse dans sa patrie (1640) tout comme son Couronnement de Poppée (1643) dans le sillage baroque, mêlant à son canto spianato proche de la diction poétique des pièces vocales ornées.

On n'aura garde, toutefois, de penser que la jubilation vocale érigée en principe par l'opéra baroque constitue alors une fin en soi. De l'ancienne éthique poétique et musicale on conserve au contraire deux principes fondateurs essentiels :[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : critique musical, agrégé de lettres modernes

Classification

Pour citer cet article

Jean CABOURG. BEL CANTO [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Haendel - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Haendel

Gaetano Donizetti - crédits : AKG-images

Gaetano Donizetti

Vincenzo Bellini - crédits : G. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Vincenzo Bellini

Autres références

  • BAROQUE

    • Écrit par Claude-Gilbert DUBOIS, Pierre-Paul LACAS, Victor-Lucien TAPIÉ
    • 20 831 mots
    • 23 médias
    Le style bel canto du baroque médian italien est un apport majeur à la musique. Il réagit contre la dictature des poètes ; en France, cette réaction baroquisante est plus tardive, mais une particularité du baroque français tient au rôle prédominant qu'occupe la danse. C'est, grosso modo, à la mort de...
  • BELLINI VINCENZO (1801-1835)

    • Écrit par Pierre BRUNEL
    • 2 992 mots
    • 3 médias
    Le propre du bel canto tel que le conçoit Bellini n'est pas l'abandon au chant pur, mais l'expression juste des passions. C'est faute de l'avoir compris que Stendhal s'est montré injuste à l'égard du maître de Catane, et en particulier de La Straniera, une œuvre...
  • CABALLÉ MONTSERRAT (1933-2018)

    • Écrit par Michel PAROUTY
    • 1 621 mots
    • 1 média
    ...jamais les grands rôles – Norma, Tosca, Amelia du Bal masqué de Verdi, Leonora du Trouvère –, la soprano se tourne régulièrement vers les ouvrages belcantistes de Bellini (Imogene d'Il Pirata), Rossini (rôle-titre d'Elisabetta, regina d'Inghilterra), Donizetti (rôles-titres de Parisina...
  • CHANT

    • Écrit par Roland MANCINI
    • 2 675 mots
    ...art de plaisir, ou de pure spéculation esthétique, seuls des phénomènes sociaux pouvaient influencer l'évolution du chant. Destiné à l'aristocratie, le bel canto d'obédience italienne s'adresse jusqu'en 1830 (soit jusqu'aux adieux de Rossini) à un public attentif au savoir-faire, à la beauté du chant,...
  • Afficher les 13 références

Voir aussi