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BEAT GENERATION

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Une prosodie bop

« Je veux qu'on me considère comme un poète de jazz qui joue des blues à une jam-session le dimanche après-midi. Je prends 242 chorus, mes idées varient, glissent parfois d'un chorus à l'autre, débordent l'un sur l'autre » (Kerouac, Mexico Blues, 1959). Pour Ginsberg, Kerouac a essayé de « jazzer » la langue américaine. Il avait un côté clochard de la Bowery improvisant sous le portail d'un immeuble. Dans les années quarante, il avait entendu, au Milton Playhouse de Harlem, Monk, Parker et Gillespie. Plus tard, il enregistra des haïkaï, accompagné par Zoot Sims et Al Cohn : « La semelle de mes godasses est trempée, j'ai marché sous la pluie. » Dans une Amérique de l'après-guerre, où l'influence du New Criticism avait sclérosé l'inspiration poétique et l'avait cantonnée dans une sorte de préciosité frileuse, le grand apport beat fut de refaire de la poésie un art vocal. Il s'agissait désormais moins de lécher d'elliptiques distiques ironiques que de retrouver le beat, le tempo profond d'un solo de saxo montant crescendo jusqu'à la béatitude de son dénouement, sans se soucier des entraves de la grammaire ni des formes. D'où l'expérimentation de toute une série de techniques d'écriture spontanée, impromptue, sans révisions ni ratures, et le sens du texte rapide et qui s'efface qui restera la marque de tous ceux qui de près ou de loin (par exemple Richard Brautigan, 1935-1984) ont subi l'influence beat.

Cette prosodie bop aura surtout fait renouer l'écriture poétique avec le corps, et le souffle, comme le démontra magistralement Allen Ginsberg le soir d'octobre 1955 à San Francisco où il déclama son « hurlement » (Howl), rythmant de son corps les versets de sa longue litanie suraiguë tandis que le public scandait comme dans une jam-session les laisses rythmées par le retour lancinant de la note profonde d'un Who (qui) où le poète reprenait respiration pour relancer le chant comme une ritournelle de saxo « qui fit trembler les villes jusqu'à leur dernière radio ». L'influence d'Artaud et de Rimbaud, le souvenir des illuminations de William Blake, la drogue, tout contribua au « long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens » qui, libérant la parole prophétique de ce nabi fou d'Amérique, lui faisait retrouver, ce dont il était parfaitement conscient, les sources vives de la tradition américaine, le souffle de Whitman, de Lindsay, de Sandburg. Cet aspect de la révolution beat, qui trouvait des échos dans l'Action Painting des années 1947-1950 ou la théorie du « vers projectif » de Charles Olson (1950), fut important entre tous, contribuant aussi à sortir de l'ombre des poètes comme William Carlos Williams ou Louis Zukofsky, dont on n'avait pas jusqu'alors perçu l'importance.

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure

Classification

Pour citer cet article

Pierre-Yves PÉTILLON. BEAT GENERATION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

Jack Kerouac - crédits : Bettman/ Getty Images

Jack Kerouac

William Burroughs - crédits : Ulf Andersen/ Hulton Getty

William Burroughs

Autres références

  • BRAUTIGAN (mise en scène B. Boeglin)

    • Écrit par
    • 896 mots

    De Bruno Boeglin, qu'il avait invité en 1979 au Centre dramatique national des Alpes, Georges Lavaudant disait alors : « Il est l'un des rares poètes de la scène. » La phrase a conservé sa pertinence. Hors du temps, hors des modes, Bruno Boeglin est l'homme d'un théâtre qui ne ressemble qu'à...

  • BURROUGHS WILLIAM (1914-1997)

    • Écrit par
    • 1 918 mots
    • 1 média
    ...d' Allen Ginsberg et de Jack Kerouac. C'est l'époque où se constitue le cercle d'écrivains qui va devenir célèbre sous le nom de Beat Generation. Le meurtre commis par un ami commun, Lucien Carr, inspire Kerouac, qui demande à Burroughs de l'aider à rédiger un roman policier...
  • CASSADY CAROLYN (1923-2013)

    • Écrit par
    • 271 mots

    Ex-femme de Neal Cassady, figure tutélaire de la beat generation, Carolyn Cassady relata son expérience du mouvement beat des années 1950 et 1960 et son mariage (1948-1963) peu conventionnel avec l’inspirateur du groupe.

    Carolyn Elizabeth Robinson naît le 28 avril 1923, à Lansing (Michigan). Elle...

  • CORSO GREGORY (1930-2001)

    • Écrit par
    • 716 mots

    Tignasse noire en bataille au-dessus d'une bouille de gavroche, Gregory Corso fut le plus jeune membre du premier cercle de la génération beat. Il était aussi le seul à être né dans le haut lieu beat, à Greenwich Village, le 26 mars 1930, de parents tous deux italiens. Et jeunes : son père a dix-sept...

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