BEAT GENERATION
Carte mentale
Élargissez votre recherche dans Universalis
Un autre regard
Orchestré par le maestro Ginsberg, l'explosion beat fut un grand coup de cymbales : on découvrit San Francisco. Le retentissement, toutefois, n'aurait pas été si grand ni si durable s'il n'y avait pas déjà eu sur la côte ouest toute une activité culturelle que peuvent résumer rapidement les deux noms de Kenneth Rexroth et de Robert Duncan. Kenneth Rexroth (1903-1982) était arrivé en 1927 du Middle West à San Francisco : dans cette ville, dit-il, la seule qui, colonisée par des marins et des aventuriers, n'ait pas subi l'emprise des puritains de Nouvelle-Angleterre ni des féodaux du Sud, se perpétuait la vieille tradition anarcho-syndicaliste des Wobblies (I.W.W.) du début du siècle. Alors que l'Est, sous l'influence conjuguée des marxistes de Partisan Review et des agrariens de Kenyon Review, se fermait, toujours selon Rexroth, dans un repli provincial, San Francisco, ville ouverte, avait gardé le contact avec le mouvement moderniste de l'entre-deux-guerres (Pound, Eliot, Williams, Moore). Robert Duncan (1919-1988) illustre par son trajet cette même continuité pour avoir travaillé avec Charles Olson et Robert Creeley au Black Mountain College, ce « Bauhaus de Caroline du Nord » (S. Fauchereau), dont l'influence à long terme fut immense sur la culture américaine. C'est par ce qu'elle capta de cette double tradition, radicale et moderniste, que la beat generation eut le plus d'impact. Nul n'illustre mieux ce retour aux sources oubliées que Ginsberg. Échappant à la beat generation, il a transformé son sens dadaïste du happening en une stratégie politique. Chantant des mantras devant les baïonnettes, opposant à la paranoïa du Pentagone le satori de la « nouvelle conscience », il est devenu une institution américaine, un prophète fils de Whitman à qui il finit même par ressembler. Mais le gourou de la jeunesse internationale, que les étudiants de Prague sacrèrent en 1965 « roi de Mai », ouvre ici un nouveau chapitre, tout comme le fait Gary Snyder. Si Allen Ginsberg fut le Walt Whitman de la beat generation, Gary Snyder fut son Thoreau. Élevé dans la forêt au nord de Seattle, il recueille l'héritage wobbly que Bob Dylan ira chercher auprès de Woody Guthrie. La double expérience des réserves indiennes d'Amérique et des monastères zen du Japon l'amène à percevoir, sous les États-Unis, la conquête puritaine et industrielle, le continent perdu des Indiens, « l'Amérique, île Tortue ». Earth House Hold, publié en 1969, décrit cette nouvelle perception des rapports de l'homme et du continent. C'est encore la beat generation, et déjà autre chose où se retrouve le legs de l'ancêtre William Carlos Williams, médecin à Paterson où Ginsberg était allé le voir, et auteur de ce traité beat avant la lettre, In the American Grain (1933), où il esquissait cette autre version de l'Amérique que la beat generation aura beaucoup fait pour mettre au jour.
1
2
3
4
5
…
pour nos abonnés,
l’article se compose de 5 pages
Écrit par :
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris-IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
Classification
Autres références
« BEAT GENERATION » est également traité dans :
BRAUTIGAN (mise en scène B. Boeglin)
De Bruno Boeglin, qu'il avait invité en 1979 au Centre dramatique national des Alpes, Georges Lavaudant disait alors : « Il est l'un des rares poètes de la scène. » La phrase a conservé sa pertinence. Hors du temps, hors des modes, Bruno Boeglin est l'homme d'un théâtre qui ne ressemble qu'à lui-même. S'il s'est peu confronté aux classiques ( Titus Andronicus , Six Personnages en quête d'auteur […] Lire la suite
BURROUGHS WILLIAM (1914-1997)
Dans le chapitre « De « Junkie » au « Festin nu » » : […] William Seward Burroughs est né le 5 février 1914 à Saint Louis dans le Missouri. Il fait ses études à Harvard, puis voyage en Europe en 1936 (Paris, Vienne, Budapest, Dubrovnik), retourne à Vienne l'année suivante pour étudier la médecine. À Dubrovnik, il épouse Ilse Klapper pour lui permettre d'obtenir la citoyenneté américaine. De retour aux États-Unis, il s'intéresse à différentes disciplines, […] Lire la suite
CASSADY CAROLYN (1923-2013)
Ex-femme de Neal Cassady, figure tutélaire de la beat generation , Carolyn Cassady relata son expérience du mouvement b eat des années 1950 et 1960 et son mariage (1948-1963) peu conventionnel avec l’inspirateur du groupe. Carolyn Elizabeth Robinson naît le 28 avril 1923, à Lansing (Michigan). Elle obtient en 1944 une licence d’art dramatique au Bennington College (Vermont) et prépare son deuxiè […] Lire la suite
CORSO GREGORY (1930-2001)
Tignasse noire en bataille au-dessus d'une bouille de gavroche, Gregory Corso fut le plus jeune membre du premier cercle de la génération beat. Il était aussi le seul à être né dans le haut lieu beat, à Greenwich Village, le 26 mars 1930, de parents tous deux italiens. Et jeunes : son père a dix-sept ans, sa mère en a seize. Après sa naissance, elle retourne en Italie. Le petit Gregory connaît l'o […] Lire la suite
DUNCAN ROBERT (1919-1988)
La naissance de Robert Duncan, à Oakland, le 7 janvier 1919, fut une tragédie. Septième enfant d'un manœuvre démuni, Robert Duncan causa, en naissant, la mort de sa mère. Sept mois plus tard, une famille sans enfants, les Symmes, l'adoptait. Nouvelle tragédie à l'âge de trois ans : le petit garçon court dans la neige vers sa mère adoptive ; il tombe, les lunettes qu'il porte se brisent : dorénavan […] Lire la suite
ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature
Dans le chapitre « Le « reading » » : […] On peut dater (c'est une date arbitraire mais symbolique) l'essor de la poésie américaine contemporaine de la fin de 1956 : c'est à San Francisco en effet qu'eut lieu, à la fin de cette année-là, une lecture publique (un reading ) à laquelle participèrent sept poètes, notamment Kenneth Rexroth (qui le raconte) et Allen Ginsberg , qui lut son célèbre poème, Howl , sorte de manifeste de la beat gen […] Lire la suite
FERLINGHETTI LAWRENCE (1919-2021)
Le plus engagé politiquement des poètes américains, Lawrence Ferlinghetti est né le 24 mars 1919 à Yonkers (État de New York). Son père mourut avant qu'il ne vînt au monde, sa mère dut entrer dans un hôpital psychiatrique et sa tante l'emmena en France, où il passa la plus grande partie de son enfance. Rentré aux États-Unis, il fut officier dans la marine américaine pendant la Seconde Guerre mondi […] Lire la suite
GINSBERG ALLEN (1926-1997)
« Ce qu'il faut à ce pays », disait Henry Miller, parlant des États-Unis, « c'est un fou inspiré. » Quand le volume Howl and Other Poems parut chez Lawrence Ferlinghetti, qui a édité presque tous les livres de Ginsberg, à San Francisco (City Lights Press), en 1956, Miller devait au moins lui tirer un coup de chapeau. Toujours est-il qu'avec la parution de ce livre, qui fit d'ailleurs l'objet d'un […] Lire la suite
HOWL, Allen Ginsberg - Fiche de lecture
Howl , ce long poème d'Allen Ginsberg (1926-1997), composé sous l'influence de Jack Kerouac et de William Burroughs, fut lu en public en octobre 1955, lors d'une séance organisée par Kenneth Rexroth dans la Galerie Six à San Francisco, avant d'être publié en 1956. Il devint du jour au lendemain l'étendard de la révolte de la « beat generation ». C'est une lamentation jazzée, comparable dans son […] Lire la suite
KAUFMAN BOB (1925-1986)
Si quelqu'un a mérité l'épithète beat que Kerouac appliqua avec le succès que l'on sait à toute une génération, c'est bien Bob Kaufman, poète de San Francisco devenu involontairement et presque à son insu une figure légendaire du panorama littéraire de cette ville où il débarque en 1956, après avoir fait neuf fois le tour du monde dans la marine marchande. Bob Kaufman participe au « San Francisco […] Lire la suite
Voir aussi
Pour citer l’article
Pierre-Yves PÉTILLON, « BEAT GENERATION », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 18 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/beat-generation/