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ZUKOFSKY LOUIS (1904-1978)

L'itinéraire de Louis Zukofsky, juif new-yorkais né dans le Lower East Side de Manhattan en 1904, recoupe les tendances de la grande poésie américaine de ce xxe siècle. Héritier de Pound et de William Carlos Williams mais aussi de Cummings, contemporain de Charles Olson mais encore plus de son grand ami du Yorkshire, Basil Bunting, il réussira cette gageure remarquable de reprendre à son compte leurs rythmes comme s'il les réinterprétait. Sa somme majeure, le poème « A » (1978), correspond à quarante-cinq ans de travail. Vingt-quatre cantos de longueur inégale se partagent les huit cent vingt-six pages du poème. Certains de ces cantos sont courts, d'autres ont la taille d'un poème autonome, tel le douzième canto long de cent quarante pages. Par ailleurs, le graphisme, les signes mathématiques et algébriques font leur apparition au cours du poème et, chose plus étonnante encore (quoique Ezra Pound ait employé un procédé similaire dans les Cantos pisans), le vingt-quatrième canto se présente sous la forme d'un masque utilisant la partition des Pièces pour clavecin de Haendel que le poète accompagne d'un dialogue dramatique entre pensée, drame, histoire et poème. Neuf scènes et deux actes divisent ce canto. Le poète a réglé la durée exacte de la lecture en fonction de la durée métronomique de la partition.

C'est en effet le but originel de la réflexion de Louis Zukofsky que d'avoir voulu conduire son art vers la musique. En cela, il dépasse et accomplit les arts poétiques respectifs de ses devanciers. Charles Olson avait le souci de la composition par « champs magnétiques », le rythme de son poème empruntant à la danse et à la projection visuelle de la syntaxe sur la page. Louis Zukofsky reprend au contraire à Ezra Pound son travail prosodique sur la quantité accentuelle. À sa différence, toutefois, il introduit le souci de la liaison entre choses et propositions qu'il apprécie chez William Carlos Williams. Voici donc que sa langue, instrument marqué par les rythmes trochaïques, par la rugosité allitérative, par le souci de l'enjambement et du suspens délicat, mais aussi par l'acuité d'attention prêtée aux accidents homophoniques ainsi qu'à l'aléatoire et l'arbitraire des signes, traverse le champ du quotidien politique, public ou personnel. Les satellites, le débarquement sur la Lune, les campagnes des Kennedy, la capitulation de la France en 1940, l'entrée des nazis dans Paris, Das Kapital, Vladimir Oulianov alias Lénine composent, dans un ordre chronologique inverse, quelques-uns des repères parcourus par le poème. Mais dès l'origine la question primordiale est de la musique : « Est-ce que/Le dessin/De la fugue/Peut être/Transféré/À la poésie ? » La musique en ses citations de Bach et de Haendel est le modèle fixe de Zukofsky depuis ce sixième canto qui date de 1930. Rappelons que deux ans plus tard, sous la sollicitation de Pound, Zukofsky éditera une Anthologie des poètes objectivistes réunissant les noms alors inconnus d'Oppen, Rákosi, Reznikoff, Rexroth et Bunting. Une préface définira les termes de ce mouvement. Zukofsky y rattache l'une à l'autre deux préoccupations apparemment antinomiques : construire une littérature à vocation prolétarienne tout en la voulant classique. La dialectique qui préside à cette réconciliation demeure quelque peu difficile à suivre aujourd'hui : il est pour le moins surprenant de lire le nom de Staline comme dédicataire final de cette préface. Mais toute valeur sociale retranchée reste l'objectif technique propre, qui est la création « d'objets » poétiques dits poèmes s'inscrivant dans un contexte et donnant à consommer des idées à travers la sensualité sonore des vocables. « Les éléments de l'objet poétique continué : sonorité et hauteur de ton d'un[...]

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Écrit par

  • : écrivain, professeur de littérature anglo-américaine

Classification

Pour citer cet article

Jacques DARRAS. ZUKOFSKY LOUIS (1904-1978) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Marc CHÉNETIER, Rachel ERTEL, Yves-Charles GRANDJEAT, Jean-Pierre MARTIN, Pierre-Yves PÉTILLON, Bernard POLI, Claudine RAYNAUD, Jacques ROUBAUD
    • 40 118 mots
    • 25 médias
    ...revues comme Transition. Parmi les précurseurs, il faut faire ici une place à part aux quatre poètes qui constituent le groupe des objectivistes : Louis Zukofsky (1904-1978), Charles Reznikoff (1898-1980), George Oppen (1908-1984) et Carl Rakosi (1903-2004), et auxquels on adjoint parfois Lorine...

Voir aussi