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WILLIAMS WILLIAM CARLOS (1883-1963)

Médecin et poète, William Carlos Williams mène pendant plus de quarante ans une vie active, difficile, nourrissant son œuvre de ses expériences, de ses rencontres, de ses réflexions. Le risque était grand de la division, de la dispersion ; il l'a accepté. Mais, en définitive, l'œuvre ne présente pas de fêlure, ne trahit pas de déchirure profonde. L'écriture est à coup sûr pour Williams un moyen d'échapper au malaise de la civilisation. Avec intransigeance, une tenace âpreté, il ne cesse de questionner le phénomène littéraire, rejetant la culture traditionnelle au profit d'une culture qui serait action et praxis, en un mot, invention. Que les poètes américains contemporains le revendiquent comme une influence majeure témoigne bien de la présence d'une voix aux multiples échos.

Le lyrisme de la contre-culture : « le lieu du poème est le monde »

Par une décision brutale, sans appel, Williams fuit l'Europe, cette séductrice qui allait ravir ses contemporains (de Henry James à Ezra Pound), les fasciner, les corrompre aussi, pense-t-il. Plus que l'austérité ou la timidité, l'honnêteté lui dicte de s'ancrer dans le sol américain, ce sol qui lui est étranger. En effet, son père est anglais, sa mère originaire de Porto-Rico ; des États-Unis d'Amérique il a donc tout à découvrir, à installer. In the American Grain, publié en 1925, témoigne à la fois de son enquête et de ses options.

Williams naît à Rutherford en 1883, meurt à Paterson (New Jersey) en 1963. Pour les curieux de la petite histoire, l'Autobiographie distille ses mensonges tout en disant aussi la vérité. Que faut-il retenir de ce long trajet ? Tout d'abord que Williams, en géologue passionné, creuse pour trouver ses racines, car « rien ne peut pousser si les racines ne s'enfoncent pas dans le sol ». Ensuite, le poète congédie le temps, s'efforce de le gommer pour échapper à « la tyrannie de la mémoire » ; il choisit l'espace, car, pour lui, l'espace est la seule dimension d'une Amérique privée de mémoire.

Si ses voyages sont peu fréquents, l'hermétisme de The Waste Land (en 1922) lui impose, croit-il, d'explorer la surface au mépris de la profondeur : « Ma surface c'est moi », déclare-t-il de façon arrogante. Ce qui le préoccupe (et il aurait aimé se consacrer à la peinture), ce n'est pas de cultiver l'essence intemporelle, exercice de style artificiel et mutilant, mais de traduire le vivant aujourd'hui. La célèbre exposition de l'Armory, qui se tint à New York en 1913, est pour Williams une foudroyante révélation : en particulier Le Nu descendant l'escalier de Marcel Duchamp provoque, chez lui, un énorme rire libérateur. Alors s'impose à lui la nécessité d'une composition qui serait immédiate transcription, vision instantanée, message télégraphique. Le pop'art n'est pas loin ; on tourne le dos en tout cas aux canons orthodoxes pour s'engager dans une autre voie puisque « tout matériau est bon pour la poésie ». Désormais, le lyrisme doit traduire autre chose que les seuls remous de la sensibilité, les manifestations d'un solipsisme dépassé : il lui appartient de s'élever contre la menace d'un univers clos, de proclamer enfin que la beauté existe au cœur du quotidien pour qui sait regarder les formes offertes, humer les parfums de passage. Par cette itinérance, ce désir et ce besoin d'écarter toute rumination subjective, Williams démontre qu'il n'est pas de thèmes privilégiés, que seule la surface est révélation. Si le poème ne jaillit pas de l'improvisation, de l'aventure, il n'est qu'imposture et belle illusion. Il n'est d'idées que dans les choses.

C'est pour Williams un axiome sur lequel repose toute son œuvre : le poème est « vécu[...]

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Pour citer cet article

Laurette VÊZA. WILLIAMS WILLIAM CARLOS (1883-1963) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BEAT GENERATION

    • Écrit par Pierre-Yves PÉTILLON
    • 2 982 mots
    • 2 médias
    ...nouvelle perception des rapports de l'homme et du continent. C'est encore la beat generation, et déjà autre chose où se retrouve le legs de l'ancêtre William Carlos Williams, médecin à Paterson où Ginsberg était allé le voir, et auteur de ce traité beat avant la lettre, In the American Grain (1933),...
  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Marc CHÉNETIER, Rachel ERTEL, Yves-Charles GRANDJEAT, Jean-Pierre MARTIN, Pierre-Yves PÉTILLON, Bernard POLI, Claudine RAYNAUD, Jacques ROUBAUD
    • 40 118 mots
    • 25 médias
    Pour William Carlos Williams, en revanche, si proche de Pound par l'amitié et un dégoût commun de l'usure qui permet autant que le collage de rapprocher Patersondes Cantos, c'est avec les vieux chiffons laissés pour compte dans un paysage culturel déserté qu'il convient de refaire une toile....
  • LE VOYAGE VERTICAL et BARTLEBY ET COMPAGNIE (E. Vila-Matas) - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-Pierre RESSOT
    • 989 mots

    À la crise qui semble frapper depuis longtemps la création romanesque espagnole, Enrique Vila-Matas, né à Barcelone en 1948, répond en se situant hors normes, en pratiquant dès ses premiers livres une recherche ludique de l'originalité, dans un mélange de fiction et d'essai pimenté d'humour....

  • PATERSON, William Carlos Williams - Fiche de lecture

    • Écrit par Michel FABRE
    • 793 mots

    Ayant écrit pendant vingt ans dans l'ombre de son ami et compatriote Ezra Pound, William Carlos Williams (1883-1963) révéla tout son talent avec la publication du premier livre de Paterson en 1946. Douze ans plus tard, en 1958, le cinquième et dernier livre de cette épopée poétique parut, confirmant...

Voir aussi