BAGDAD
Au viiie siècle, après avoir destitué les Omeyyades de Damas, les Abbassides transfèrent la capitale du califat en Irak et fondent une ville qui deviendra Bagdad. Métropole d'un vaste empire, Bagdad fut pendant plusieurs siècles un foyer de rayonnement intellectuel et artistique majeur. À partir du xiiie siècle, envahie par les Mongols, un temps dominée par les Perses, reléguée au rang de chef-lieu d'une province périphérique de l'empire ottoman, Bagdad entame un long déclin. À la fin du xixe, elle retrouve un certain dynamisme économique et connaît une renaissance culturelle sous l'impulsion de gouverneurs réformateurs. Le traité de Sèvres (1920) et l'accord anglo-irakien (1922) en font la capitale d'un mandat, puis d'un protectorat britannique. Après l'indépendance, au début des années 1930, elle devient la capitale d'un royaume, puis de la république d'Irak, à la suite de la révolution de 1958. Bagdad a connu depuis cette époque une croissance démographique et spatiale spectaculaire. Mais les populations de la ville et de sa périphérie ont payé un lourd tribut aux vicissitudes contemporaines de la géopolitique du golfe Persique.
Histoire
Fondation de la Ville Ronde
La fondation de Bagdad fut décidée par le second calife abbasside Maṇsūr, avec l'utilisation d'un ancien nom iranien signifiant « la Dieudonnée ». Les plans furent tracés par des ingénieurs en 758 ; les travaux commencèrent quatre ans plus tard, et la date de 765 marque l'installation réelle du souverain. La dénomination officielle fut Madinat al-Salam, la « cité de la paix ».
L'agglomération primitive fut aménagée sur la rive occidentale du fleuve. Le plan circulaire adopté imposa des divisions géométriques très simples. Au centre s'élevait la mosquée-cathédrale et le palais du calife, appelé la Porte d'Or. De là partaient, dans quatre directions, des avenues qui aboutissaient à des portes, dont les appellations montrent l'orientation : porte du Khurāsān, porte de Syrie, porte de Kūfa et porte de Bassorah. L'ensemble, d'un diamètre d'environ deux kilomètres, était ceint d'une épaisse muraille, protégée par un avant-mur, un glacis et un fossé plein d'eau. À l'intérieur de ces remparts étaient logés les officiers de la cour et les bureaux administratifs. Tous les bâtiments étaient construits en briques, matériau habituel dans la région.
Le site semblait réunir toutes les conditions pour la sécurité et le développement d'une capitale politique et économique, car la position avait sa valeur pour le contrôle des routes stratégiques et commerciales. Les événements prouvèrent que Bagdad n'était pas à l'abri des invasions, mais les deux cours d'eau, le Tigre proche et l' Euphrate, plus éloigné vers l'ouest, facilitaient la circulation des hommes et des biens.
D'ailleurs Maṇsūr ne se sentait pas tranquille, puisque dès avant sa mort (775), il présidait à la fondation d'un nouveau quartier pour servir de résidence à son fils Mahdī, quartier qui porta le nom significatif de Camp de Mahdī. Le fleuve avait été franchi et le nouvel emplacement, nommé aussi Rụsāfa, fut situé sur la rive orientale, comme blotti dans une boucle du Tigre.
Rapidement les marchés furent prévus dans un quartier du sud de la Ville Ronde, le Karkh, où, suivant des données préétablies, chaque spécialité était groupée à part. Tel fut le premier aménagement, car, bien entendu, les marchés suivirent pas à pas les nouveaux quartiers d'habitation.
La fin de la cité de Maṇsūr
Il est impossible de retrouver sur place le noyau primitif de Bagdad, même d'une façon hypothétique. La Ville Ronde disparut lors de la guerre de succession, en 812-813, entre le calife Amīn, assiégé dans sa capitale, et les troupes de son frère Ma'mūn, venues du Khurāsān. Ce furent des combats de rues sans merci ; la population ne savait plus où s'abriter ; les artères de la ville étaient jonchées de cadavres ; les ruines s'accumulaient partout, causées par les projectiles des machines de siège.
C'en sera donc fini de la cité de Maṇsūr, dont subsistera un unique point de repère, la mosquée-cathédrale. L'arrivée en Mésopotamie du calife Ma'mūn se place six ans après et, dès ce moment, les califes songèrent à prendre leurs distances : les palais royaux s'élevèrent nombreux dans un vaste emplacement situé sur la rive orientale, immédiatement à l'est de la Ville Ronde, au sud de Rụsāfa. Ce terrain, qu'on appela bien vite la Résidence, fut, à la fin du xie siècle, clos d'un rempart, percé d'un certain nombre de portes, et chaque calife eut le souci d'embellir cet espace : pavillons avec portiques à colonnes, entourés de jardins d'un aspect plaisant, pelouses, ruisseaux et pièces d'eau, parcs zoologiques et enceintes de chasse. Ici aussi, tout a disparu, mais les califes résidèrent dans ce vaste quadrilatère, bordé à l'ouest par le Tigre, jusqu'à l'attaque de Hūlāgū. Le voyageur andalou Ibn Djubayr s'extasiera à la fin du xiie siècle sur l'aspect florissant de ces jardins califiens.
Les chroniques fournissent de nombreux renseignements sur l'essor intellectuel auquel Ma'mūn a donné son nom. On ne peut malheureusement situer sur le terrain ce fameux bureau de traductions et l'académie de la Sagesse, faute de données topographiques valables.
De bonne heure, les deux rives du Tigre furent reliées par des ponts de bateaux, dont le nombre a varié, de trois à cinq, ainsi que l'emplacement : ces ponts étaient très visés lors des séditions populaires, et souvent détruits par les crues du fleuve.
Créations urbaines
Les habitants de Bagdad étaient loin de vivre au calme, et ce furent du reste les désordres causés par les contingents turcs recrutés dès le milieu du ixe siècle qui poussèrent les califes à choisir une résidence à une cinquantaine de kilomètres au nord, à Samarra. Et c'est notamment après la fuite sur Bagdad d'un calife trahi par les Turcs que cette ville subit un nouveau et terrible siège, en 865. Cette fois, les combats ont lieu sur la rive orientale, et le quartier de Rụsāfa fut presque détruit. C'est à cette époque qu'Ibn ̣Hawkal constate que la plupart des quartiers sont dévastés et que de nombreux édifices sont en ruine.
C'est alors la fin d'un califat indépendant : après un émir des émirs, ce fut un prince būyide, puis le sultan saldjūkide, qui prirent les califes en tutelle. Sous les Būyides, ces maîtres chiites d'un pontife sunnite réduit au rôle de roi fainéant, les émeutes, surtout localisées dans le quartier de Karkh, au sud de l'ancienne Ville Ronde, prirent une couleur particulière : ce sont alors des batailles entre les chiites et les sunnites, avec leur cortège d'incendies et de pillages.
Un de ces seigneurs būyides, ‘Ạdūd al-Dawla (978-983), attacha son nom à des entreprises d'urbanisme, mettant même en œuvre des moyens modernes de financement. Il fit restaurer tous les marchés et réparer tous les édifices religieux ; il obligea les particuliers à reconstruire les immeubles dévastés et prévit des avances financières de l'État pour ceux qui ne pourraient acquitter cette dépense. Les berges du Tigre furent consolidées et les terrasses refaites ; pour réparer les ponts, on choisit des bateaux solides, de bonne taille, et les parapets furent consolidés. Enfin, toutes les canalisations d'eau potable furent remises en état. Une création plus durable fut la fondation d'un hôpital, entre la Ville Ronde et le Tigre ; gravement endommagé par une crue du fleuve en 1074, il retrouva son activité, mais ne survivra pas à la ruée mongole.
À la fin du xie siècle, les quartiers de la ville, sur les deux rives, étaient séparés par des terrains vagues. Un plan de reconstruction fut alors prévu pour de nouveaux faubourgs, et une autre muraille les entoura, depuis Rụsāfa jusqu'au sud de Karkh, en un demi-cercle fermé par le Tigre. Ce rempart fut percé de sept portes.
Avec les Saldjūkides, on voit apparaître la madrasa, le collège religieux d'État, et c'est à Bagdad que fut créé le premier établissement de ce genre, la Nịzāmiyya, rappelant le nom du grand homme d'État des Saldjūkides, Nịzām al-Mulk. Il suffit de rappeler que la madrasa fut chargée de détruire les opinions hétérodoxes du monde musulman.
Le renouveau califien
Au début du xiiie siècle, la capitale califienne semble revivre, notamment pendant le règne le plus long de tout le califat abbasside, celui de Nạ̄sir (1180-1225) : c'est alors qu'on voit pulluler les couvents et les centres urbains d'accueil aux indigents. Une des portes de l'enceinte générale, à l'est, fut refaite alors, et appelée porte du Talisman à cause de sa sculpture. Bien qu'elle ait été détruite en 1917 à la suite de l'explosion d'une poudrière, d'excellentes photographies permettent l'étude de cette sculpture. Son ornementation principale représentait un petit personnage nimbé, saisissant dans ses mains les langues de deux dragons, dont les queues, épousant la courbe d'un arc, se tordaient en plusieurs nœuds. On a supposé que c'était là le portrait du calife Nạ̄sir terrassant ses deux ennemis les plus redoutables, les shāhs du Khārezm et les sultans mongols.
Un peu plus tard, un nouveau collège, la Mustaṇsiriyya, était fondé, et on a tenté de le sauver à l'époque contemporaine en y installant un musée. On peut donc admirer en partie une décoration murale au moyen de briques estampées, ainsi que des inscriptions qui se présentent avec une grande noblesse, en relief sur un fond de fines dentelles.
L'invasion mongole
Vint la catastrophe finale : les hordes du sultan mongol Hūlāgū bloquèrent la ville en janvier 1258 et, au bout d'un mois, ce fut l'invasion des rues ; le meurtre et le pillage s'appesantirent sur Bagdad. Le calife fut mis à mort le 10 février. Telle fut la fin de l'empire califien.
La ville tomba au rang d'un chef-lieu de province, et un officier mongol réussit à y fonder une dynastie : c'est alors que s'élèvera la Mirdjaniyya, collège et mosquée, dont on peut encore apprécier la qualité. Des seigneurs mésopotamiens s'y installèrent, puis ce fut un nouveau sac de la ville par Tamerlan. Bagdad reste le centre endormi d'une petite région, tour à tour sous la domination ottomane, puis séfévide. Enfin les Ottomans l'emportent définitivement en 1638 : la contrée est dès lors administrée par des pashas turcs et par des officiers mamlūks.
À la fin de la Première Guerre mondiale, l'armée britannique s'empara de Bagdad le 11 mars 1917 ; le traité de Lausanne consacra un royaume de l'Irak sous mandat britannique. Le roi Faỵsal monta sur le trône en 1921 et l'État irakien devenait indépendant en 1930. Finalement, la république d'Irak fut proclamée le 14 juillet 1958.
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Écrit par
- Brigitte DUMORTIER : ancienne élève de l'École normale supérieure, agrégée de géographie, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne
- Gaston WIET : membre de l'Institut, professeur honoraire au Collège de France
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Médias
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