CORSE
Située à près de 200 km au sud-est de Nice, l'île de Corse délimite, avec l'Italie péninsulaire, la Sicile et la Sardaigne – dont elle n'est séparée que par une dizaine de kilomètres aux bouches de Bonifacio –, la mer Tyrrhénienne, partie de la Méditerranée occidentale.
Sur le plan administratif, la Corse est une région française doté d’un statut particulier qui a évolué à plusieurs reprises depuis les années 1970.
Située au carrefour des voies maritimes, de l'Italie à l'Espagne, de la Gaule à l'Afrique, elle connut une histoire particulièrement tragique. Des Carthaginois aux Lombards et aux Maures, des Romains aux Aragonais et aux Génois, les peuples du Bassin méditerranéen se sont succédé sur son sol. Cependant, aucun ne semble avoir eu une influence prépondérante. L'île témoigne encore d'un fort particularisme qui, bien qu'étant source de richesses, constitue un obstacle sérieux à toute mise en valeur, à tout développement économique, alors que celui-ci se trouve déjà compromis par l'insularité et le puissant relief qui font de cette région française d'une superficie de 8 680 km2 une montagne dans la mer.
L'histoire récente ajoute à ces difficultés. Alors que l'intérieur de l'île dépérit, le développement qui change le visage du littoral et des plaines a la fragilité des greffes. Qu'il s'agisse de démographie, d'économie, de vie politique, l'ensemble insulaire subit le traumatisme d'une évolution venue de l'extérieur. Il y réagit aux extrêmes, alors que, du même mouvement, la sensibilité corse croît en fonction de la conscience d'une déperdition : c'est en termes d'identité que l'avenir de l'île pourrait se dessiner.
Une montagne dans la mer
La terre
À part de faibles superficies de terres qui se trouvent à l'embouchure des fleuves, seule la côte orientale présente des espaces suffisamment plans pour qu'on puisse parler de plaine. Pour le reste, il s'agit de deux systèmes montagneux orientés du nord au sud et séparés par une dépression appelée « sillon de Corte ». Le système occidental est le plus important par son altitude (monte Cinto, 2 710 m ; monte Rotondo, 2 622 m ; monte d'Oro, 2 389 m ; Incudine, 2 134 m) et son étendue. D'une crête centrale, ne s'abaissant jamais au-dessous de 1 000 m, des torrents de direction nord-est - sud-ouest descendent vers la Méditerranée occidentale (Gravone, Taravo, etc.). Ces torrents ont creusé de profondes vallées limitées par des crêtes aiguës. Les roches essentiellement cristallines sont assez variées pour laisser place à des paysages contrastés : aux lourdes croupes et aux bassins granitiques s'opposent les pics et les gorges granulitiques. La présence de barres de roches dures dans les sections moyennes des vallées isole des bassins perchés, comme celui de Bastelica. Les rares plaines de la côte occidentale sont taillées dans les granites tendres (Calvi, Ajaccio).
La crête centrale descend brusquement vers l'est (balcon de l'Ospedale), sauf au nord où les torrents tyrrhéniens ont réussi à la reporter très à l'ouest. Le principal d'entre eux, le Golo, a ainsi isolé le plus parfait des bassins montagnards : le Niolo, séparé du sillon de Corte par les gorges de la Scala de Santa Regina. Ce sillon lui-même est en fait composé de segments discontinus séparés par des cols assez élevés (San Colombano, 692 m).
Au nord-est, le second système montagneux, moins élevé que le précédent (monte San Petrone, 1 766 m), est formé de deux masses bien distinctes : la « Castagniccia » et le Cap d'une part, la chaîne de Tenda et le désert des Agriates d'autre part. La première est faite uniquement de schistes tendres quelquefois renforcés de roches volcaniques (roches vertes). Il en résulte un monde de crêtes encore plus aiguës que dans la région granitique de l'ouest. La seconde est entièrement granitique et rappelle ainsi les paysages occidentaux.
L'importance du volume montagneux est le résultat du soulèvement récent et quasi continu de l'île. Mais la violence de l'érosion torrentielle est telle que les hautes surfaces tertiaires ont été fortement défoncées, sauf quand les torrents ont eu affaire à des barres de roches dures. Quelques plateaux subsistent alors (plateau d'Ese, Bosco del Coscione). Les altitudes sont maintenant insuffisantes pour qu'on ait actuellement des glaciers. Mais ceux du Quaternaire ont laissé des traces sous forme de lacs (Melo), de pics aigus et d'auges glaciaires (Golo).
L'écran de cet important relief en Méditerranée fait que l'île est copieusement arrosée, surtout en hiver. Il tombe plus d'un mètre d'eau par an sur les montagnes, et seules les plaines en reçoivent moins de 500 mm. La neige joue un certain rôle dans ces précipitations, et il n'est pas rare que les principaux cols soient encore fermés au mois de mai. En revanche, les températures restent déterminées par la latitude : les moyennes de janvier en plaine dépassent 8 0C et celles de juillet 20 0C. Pourtant, le thermomètre monte rarement au-dessus de 40 0C. Il reste que les golfes souffrent en été d'une chaleur humide qui rappelle les tropiques.
Si l'on ajoute que les côtes manquent de bons abris naturels, on aura une idée des conditions physiques que les hommes ont rencontrées.
Les hommes
Quels éléments constituèrent la population d'origine de la Corse ? Ibères et Ligures, selon les historiens de l'Antiquité ; infiltrations protoceltiques, peut-être africaines d'après des investigations plus récentes. Quoi qu'il en soit, les habitants, dès la préhistoire, proviennent déjà de vieux brassages, auxquels se sont ajoutés de nombreux apports depuis vingt-cinq siècles. Pourtant, ce melting-pot coexiste, pour les insulaires, avec l'affirmation d'une forte personnalité ainsi qu'avec le sentiment profond d'appartenir à un groupe particulier.
C'est le résultat de l'action conjuguée de la nature et de l'histoire. Jusqu'au début du xxe siècle, les Corses ont été concentrés en altitude, sur les coteaux et en montagne (entre 400 et 900 m), où s'étaient perchés les villages, à cause de l'insécurité des rivages, ouverts aux menaces venues de la mer et aux pénétrations étrangères (Grecs, Romains, Génois...). Comme la Sardaigne proche, l'île a abrité des terriens, paysans et bergers, car, le Cap Corse mis à part, la vie maritime et commerciale n'a pu s'épanouir sur le littoral où les villes, Bastia, Ajaccio, Calvi, sont restées, du Moyen Âge aux Temps modernes, des forteresses créées par les Génois pour veiller sur une colonie rétive.
Aussi la Corse est-elle demeurée une terre pauvre, dépourvue de prospère cité marchande. Dans un milieu difficile, les habitants ne pouvaient survivre qu'en associant, par le biais des transhumances qui étaient autant agricoles que pastorales, les ressources du haut et du bas pays : seigle, châtaignes, porcs, pâturages d'été pour brebis, chèvres même bovins en haut, blé, olives donc huile, un peu de vin, pâturages d'hiver à la « plage », c'est-à-dire en bas, sur les basses pentes et dans les plaines. Les révolutions agricole et industrielle du xixe siècle n'ont guère corrigé le schéma des temps d'autarcie ; peu de mines et, malgré d'éphémères hauts-fourneaux, des industries fugitives, appuyées sur le bois, le liège, les peaux. Seules ont résisté quelques industries alimentaires.
Ces conditions expliquent que la Corse ait toujours été la moins peuplée des grandes îles méditerranéennes : 150 000 habitants en 1796, 273 000 en 1881 – époque probable du maximum. Il est vrai que pauvreté, insécurité, violence des mœurs encouragèrent une émigration ancienne, d'abord vers les terres proches, italiennes et provençales, mais aussi beaucoup plus lointaine : les Cap-Corsins vers l'Amérique, surtout les Caraïbes, l'ensemble des Corses, après 1850, vers l'empire colonial et l'Hexagone. La Première Guerre mondiale, en provoquant des pertes sévères, a ruiné les anciens équilibres et entraîné l'émigration massive. La population a diminué de 40 p. 100, puisque le nombre des habitants était tombé à 160 000 en 1960.
Cette ponction n'a pas été compensée par l'immigration, pourtant précoce et continue. La venue des Italiens a toujours existé : colonies génoises au Moyen Âge, « Lucquois » pour les gros travaux au xixe siècle, Sardes, Siciliens et Calabrais après 1945. Les Français du continent, les pinzuti, fonctionnaires, militaires et gendarmes, n'ont jamais été nombreux. Le dépeuplement a figé la répartition des habitants dans les villages perchés. D'où l'importance que revêt, aux yeux de beaucoup, la Corse de l'intérieur et l'attachement viscéral aux villages pour ceux qui en sont originaires. Jusqu'en 1960, les rivages étaient presque déserts, les villes littorales médiocres, insuffisamment animées pour fixer l'exode rural, même Bastia et Ajaccio, si bien que les citadins sont restés minoritaires. C'est le dernier demi-siècle qui a bouleversé la situation et effacé la répartition inversée de la population en privilégiant les positions côtières.
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Écrit par
- Christian AMBROSI : professeur au lycée Henri-IV, Paris
- Gilbert GIANNONI : chef de service, Encyclopædia Universalis
- Janine RENUCCI : professeur émérite à l'université de Lyon-II
- André RONDEAU : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Nanterre
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