AUTOPORTRAIT, peinture
Le peintre noble et savant : l'autoportrait « en majesté »
Comme on l'a vu à propos de l'évolution du thème de saint Luc, le statut social et intellectuel de l'artiste et celui de la peinture sont au centre de la problématique de l'autoportrait, surtout à partir de la Renaissance où cet art, naguère « mécanique », accède pratiquement, avec les plus grands maîtres, au rang des « arts libéraux ». Formé comme un artisan dans une Allemagne encore médiévale, Dürer donne, après son voyage en Italie en 1493-1495, l'un des tout premiers autoportraits de type aristocratique (1498, musée du Prado, Madrid) avant que d'oser se représenter dans la pose codifiée du Salvator Mundi (1500, Alte Pinakothek, Munich). Les critères de l'autoportrait en majesté sont cependant trop imprécis pour qu'on puisse parler d'un genre en soi. Si, avec Titien (1562, Staatliche Museen, Berlin), Rubens (vers 1638, Kunsthistorisches Museum, Vienne) et Ingres (1859, Fogg Art Museum, Cambridge, Mass.), voire Meissonier (1889, musée d'Orsay), cette formule revêt toute la franchise et l'acuité psychologique du portrait au naturel, mais tirées dans le sens de la distinction sociale, il en va différemment de celle que mettent au point les Florentins dans la seconde moitié du xvi e siècle : l'artiste, généralement cadré à mi-corps, pose entouré d'objets scientifiques ou de collection (allusion à ses qualités d'humaniste) ou bien arbore les instruments non point de la peinture – dont l'exécution continue de relever malgré tout d'un savoir-faire artisanal –, mais du dessin, la partie la plus intellectuelle de l'art (G. Vasari, 1566-1568, Offices ; L. Meléndez, 1746, musée du Louvre). Au xvii e siècle, c'est l' atelier lui-même, dont le décor peut être à l'image de la dignité de la fonction, qui sert de cadre aux autoportraits les plus pontifiants ( Pierre Mignard, vers 1690, musée du Louvre) ou les plus hermétiques : dans sa célèbre effigie peinte pour Paul Fréart de Chantelou en 1650 (musée du Louvre), Poussin, noblement campé devant un empilement de tableaux, abandonne au double œil de Junon, visible sur l'une des toiles, le pouvoir de suggérer la dimension visionnaire de son art.
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- 1. Le peintre en saint Luc
- 2. Le regard du peintre : l'autoportrait « situé »
- 3. L'âme du peintre : l'autoportrait « au naturel »
- 4. Le peintre noble et savant : l'autoportrait « en majesté »
- 5. Le peintre au travail : le triomphe de la peinture
- 6. Portraits de groupe
- 7. Aberrations
- 8. Bibliographie
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Écrit par
- Robert FOHR : historien de l'art
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Pour citer cet article
Robert FOHR, « AUTOPORTRAIT, peinture », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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