Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ART (L'art et son objet) L'œuvre

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Parler d'œuvre aujourd'hui ne va pas sans difficulté. Certes, les œuvres d'art sont là : le Tadj Mahall, la tour Eiffel, la Vue de Delft par Vermeer, Guernica de Picasso, L'Homme qui marche de Giacometti, incontestables, objectives, plus sûrs témoins du passé que les actions des hommes ou leurs paroles, qui, elles, ont besoin de la mémoire et du récit pour durer. En un sens, comme le disait Hannah Arendt dans La Crise de la culture (1961), les œuvres sont les choses les plus « mondaines » qui soient. Même celles qui ont disparu peuvent encore avoir une certaine influence : on connaît par Pausanias les statues détruites de Phidias, et n'a-t-on pas proposé, en ce début de xxie siècle, de reconstruire les Tuileries ? Pourtant, les œuvres d'art existantes n'ont pas toujours été considérées comme telles (pensons à la tour Eiffel) ; on a parfois oublié jusqu'au nom de leurs auteurs (ce fut le cas des œuvres de Vermeer ou des frères Le Nain). Certaines resteront à jamais anonymes. Des œuvres peuvent avoir été déclassées, puis être redécouvertes, comme le montre Francis Haskell dans La Norme et le Caprice (1976), et c'est alors la question du goût et de la réception qui est posée. Force est donc de reconnaître qu'elles ont une histoire, que leur qualification ne va pas de soi, et que la notion même d'œuvre varie, puisqu'elle dépend de pratiques sociales. On l'a bien vu au xxe siècle, où l'art moderne et contemporain a mis en crise l'œuvre d'art traditionnelle.

Vue de Delft, Vermeer de Delft - crédits : Buyenlarge/ Getty Images

Vue de Delft, Vermeer de Delft

La tour Eiffel - crédits : Medioimages/ Photodisc/ Getty Images

La tour Eiffel

Les œuvres qui sont là

Les œuvres appartenant aux domaines des arts plastiques et de l'architecture sont pour l'essentiel « autographiques », pour reprendre l'expression de Nelson Goodman dans Langages de l'art (1968) – c'est-à-dire incarnées physiquement, dans une chose (une toile sur châssis pour La Joconde) ou une action (l'emballage du Pont-Neuf à Paris par Christo et Jeanne-Claude, en 1985), l'une et l'autre bien identifiées, et auxquelles il convient de se référer comme à des originaux. On parlera de culture des œuvres, puisqu'il faut s'occuper d'elles et en prendre soin. Cela va de l'authentification, de la conservation, de la restauration, de la présentation au public, à la connaissance du contexte historique (Michael Baxandall), de l'iconographie et l'iconologie (Erwin Panofsky, André Chastel), à l'analyse stylistique (Henri Focillon, Clement Greenberg) et à l'interprétation – esthétique, sociologique, psychanalytique. Car l'œuvre n'est rien sans « significations » (Panofsky), ni, comme le rappelle opportunément le philosophe analytique américain Arthur Danto, « sans une atmosphère de théorie artistique, une connaissance de l'histoire de l'art : un monde de l'art ». On peut dire également qu'il n'y a pas d'œuvre sans jugement, parfois sous sa forme judiciaire, si l'on pense au procès qui opposa Brancusi aux douanes des États-Unis en 1928. Qu'est-ce donc que l'art ? Le philosophe américain Nelson Goodman a proposé de remplacer cette question par une autre : « Quand y a-t-il art ? » Quand quelqu'un, quand « je » le décide.

Le monde antique ne distinguait guère l'artiste de l'artisan, l'œuvre étant l'ouvrage produit par un savoir-faire technique. L'Histoire naturelle de Pline ou les écrits de Pausanias manifestent pourtant qu'on savait distinguer parmi les objets d'art ceux qui méritaient l'admiration. Si l'apprenti médiéval doit, pour exercer son métier, élaborer un « chef-d'œuvre », l'artiste véritable, tel le sculpteur d'Autun Gislebertus (xiie siècle), commence à signer son œuvre. À la Renaissance, l'artiste est recherché pour son « génie » propre. Les premiers historiens[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Thierry DUFRÊNE. ART (L'art et son objet) - L'œuvre [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

Vue de Delft, Vermeer de Delft - crédits : Buyenlarge/ Getty Images

Vue de Delft, Vermeer de Delft

La tour Eiffel - crédits : Medioimages/ Photodisc/ Getty Images

La tour Eiffel

Le dernier atelier de Piet Mondrian à New York - crédits : 2000 Kunsthaus Zurich, Suisse, the Estate of Fritz Glarner, all rights reserved. © Mondrian/Holzman Trust 

Le dernier atelier de Piet Mondrian à New York

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE DE L'ART

    • Écrit par et
    • 3 610 mots
    • 1 média

    L’anthropologie de l’art désigne le domaine, au sein de l’anthropologie sociale et culturelle, qui se consacre principalement à l’étude des expressions plastiques et picturales. L’architecture, la danse, la musique, la littérature, le théâtre et le cinéma n’y sont abordés que marginalement,...

  • ART (notions de base)

    • Écrit par
    • 3 282 mots

    Les liens qui ont longtemps uni l’art et la religion se sont-ils distendus au fil de l’histoire ? L’art s’est-il émancipé de la religion pour devenir une activité culturelle autonome ? Alain (1868-1951) se serait-il trompé en affirmant que « l’art et la religion ne sont pas deux choses,...

  • FINS DE L'ART (esthétique)

    • Écrit par
    • 2 835 mots

    L'idée des fins de l'art a depuis plus d'un siècle et demi laissé la place à celle d'une fin de l'art. Or, à regarder l'art contemporain, il apparaît que la fin de l'art est aujourd'hui un motif exsangue, et la question de ses fins une urgence. Pourquoi, comment en est-on arrivé là ?

  • ŒUVRE D'ART

    • Écrit par
    • 7 938 mots

    La réflexion du philosophe est sans cesse sollicitée par la notion d'œuvre. Nous vivons dans un monde peuplé des produits de l'homo faber. Mais la théologie s'interroge : ce monde et l'homme ne sont-ils pas eux-mêmes les produits d'une démiurgie transcendante ? Et l'homme anxieux d'un...

  • STRUCTURE & ART

    • Écrit par
    • 2 874 mots

    La métaphore architecturale occupe une place relativement insoupçonnée dans l'archéologie de la pensée structurale qu'elle aura fournie de modèles le plus souvent mécanistes, fondés sur la distinction, héritée de Viollet-le-Duc, entre la structure et la forme. La notion d'ordre, telle que l'impose la...

  • TECHNIQUE ET ART

    • Écrit par
    • 5 572 mots
    • 1 média

    La distinction entre art et technique n'est pas une donnée de nature. C'est un fait social : fait qui a valeur institutionnelle et dont l'événement dans l'histoire des idées est d'ailleurs relativement récent. C'est dire qu'on ne saurait non plus considérer cette distinction comme un pur fait de connaissance...

  • 1848 ET L'ART (expositions)

    • Écrit par
    • 1 189 mots

    Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...

  • ACADÉMISME

    • Écrit par
    • 3 543 mots
    • 2 médias

    Le terme « académisme » se rapporte aux attitudes et principes enseignés dans des écoles d'art dûment organisées, habituellement appelées académies de peinture, ainsi qu'aux œuvres d'art et jugements critiques, produits conformément à ces principes par des académiciens, c'est-à-dire...

  • ALCHIMIE

    • Écrit par et
    • 13 642 mots
    • 2 médias
    ...phénomènes perçus par nos sens et par leurs instruments. Cette hypothèse peut sembler aventureuse. Pourtant, le simple bon sens suffit à la justifier. Tout art, en effet, s'il est génial, nous montre que le « beau est la splendeur du vrai » et que les structures « imaginales » existent éminemment puisqu'elles...
  • ARCHAÏQUE MENTALITÉ

    • Écrit par
    • 7 048 mots
    ...le succès correspond peut-être à un besoin accru encore par les progrès de la pensée positive et pour ainsi dire en réaction contre elle. D'autre part, on peut trouver dans la vie artistique, sous toutes ses formes, la recherche d'une harmonie entre le subjectif et l'objectif, en même temps qu'un retour...
  • Afficher les 41 références