Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ARABISME

Les théoriciens et les théories

Après les pionniers du proto-nationalisme anti-impérialiste, qui rêvaient d'un affranchissement et d'une rénovation dans le cadre de l'Empire ottoman et de la communauté musulmane, le nationalisme arabe fut long à trouver des théoriciens. Au sein des mouvements politiques qui revendiquaient l'indépendance, l'activité pratique, fondée sur les sentiments à peine conscients des masses, tendit spontanément à choisir pour cadre l'ethnie arabe d'Asie. La question de son extension aux Arabes d'Afrique ne fut traitée qu'occasionnellement, toujours de manière hésitante et indécise, quand elle n'était pas repoussée purement et simplement. Des embryons de théorisation n'apparurent que chez les publicistes et hommes politiques, dans les discours, tracts, articles de journaux et de revues.

Un des premiers théoriciens fut Edmond Rabbath, chrétien d'Alep, dont le livre Unité syrienne et devenir arabe (1937) était écrit en français. Il fut suivi par des Libanais, le chrétien Constantin Zurayq (à partir de 1938) et le musulman ‘Abdallāh al-‘Alāyili (1941), par le musulman syrien, ancien fonctionnaire ottoman et irakien, Sâti‘ al-Ḥuçri, qui écrivit de nombreux livres sur ce thème à partir des années 1940, et par beaucoup d'autres.

Le nationalisme arabe s'est forgé une idéologie, comportant une théorie fondamentale de la nation – et de la nation arabe –, théorie constituée en fonction des aspirations spontanées et des problèmes politiques pratiques posés par la situation des peuples arabes. Aux théories européennes sur la nation, elle emprunta la défense et l'illustration de la langue et de l'histoire communes plus que l'exaltation du lien territorial. La nation arabe fut définie sur les bases unitaires et considérée comme une qawmiyya (de qawm, « peuple », calqué sur Volkstum), tandis qu'on tendait à écarter ou à subordonner le concept de wataniyya (de watan, « lieu de naissance ou de résidence, patrie » où l'élément territorial est essentiel). Les patriotismes locaux, qui se fondaient sur les facteurs spécifiques différenciant les divers pays arabes, furent dévalorisés (sous des noms comme iqlīmiyya, « régionalisme ») : ils rompaient la solidarité de lutte de ces pays aux frontières récentes et souvent fixées par les puissances européennes, incapables dans la plupart des cas de susciter de forts sentiments d'allégeance. Même en Égypte, où un puissant sentiment national spécifique existe depuis l'Antiquité, les débuts de théorisation d'un nationalisme égyptien se subordonnèrent à la doctrine du nationalisme arabe unitaire. Partout, même ceux qui pratiquaient le nationalisme local durent le subordonner, au moins verbalement, au nationalisme arabe.

Une sorte d'« histoire sainte » fut constituée, exaltant les hauts faits du peuple arabe dans le passé, attribuant tous les phénomènes négatifs à l'influence turque, iranienne ou européenne. On eut tendance à annexer à l'arabisme les fastes de tous les peuples de langue sémitique avant l'expansion arabe, à considérer comme Arabe dès l'Antiquité même les Berbères et les Égyptiens ou les Coptes. Toute l'histoire fut orientée vers une fin : la constitution, vue comme une reconstitution, d'une forte nation arabe unitaire.

Une éthique fut dès lors dégagée. Dans la ligne romantique de Fichte et de Hegel, l'individu est subordonné à la nation. Il a le devoir de se sacrifier à la nation et doit y être contraint si besoin est. La nation est la valeur suprême, ce qui est justifié par une argumentation de type laïque. Cependant, les notions traditionnelles de soumission à l'État ou à la communauté religieuse (l'islam) furent réinterprétées et utilisées dans cette optique.

Dans le discours[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Médias

Faysal à la conférence de paix de Paris, 1919 - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Faysal à la conférence de paix de Paris, 1919

La Ligue arabe - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

La Ligue arabe

Conférence de Bagdad, 1955 - crédits : Fox Photos/ Hulton Archive/ Getty Images

Conférence de Bagdad, 1955

Autres références

  • ALGÉRIE

    • Écrit par , , , et
    • 41 835 mots
    • 25 médias
    ...d'autre issue à ses revendications d'égalité que la citoyenneté française, une autre voie lui fut indiquée par les ulémaset les champions de l' arabisme : la « Nation algérienne ». Par l'enseignement, le scoutisme et la propagande écrite et orale, les ulémas insufflèrent à la jeunesse un idéal...
  • ARABIE SAOUDITE

    • Écrit par , et
    • 25 169 mots
    • 10 médias
    ...permettent à l'Arabie Saoudite, conduite par le roi Fayçal, d'améliorer sa position régionale. D'un pays sur la défensive, le royaume se mue progressivement en gardien de la solidarité arabe, modérateur des plus extrémistes et médiateur entre les Arabes et l'Occident. C'est à Riyad que le sommet mettant fin à...
  • BAATH, BA'TH ou BAAS

    • Écrit par
    • 1 044 mots
    • 1 média

    Parti socialiste de la renaissance arabe, le Baath est un parti politique fortement structuré qui, dépassant les frontières des États, se veut un mouvement unitaire arabe et socialiste. Fondé en 1943 à Damas par un chrétien orthodoxe, Michel Aflak, le philosophe du parti, et Ṣālah al-Biṭar,...

  • BAKR AHMED HASSAN AL- (1912-1982)

    • Écrit par
    • 1 172 mots

    Aux discrètes obsèques d'Ahmed Hassan al- Bakr, le 5 octobre 1982 à Bagdad, trois personnalités mènent le deuil : Michel Aflak, un des fondateurs historiques du parti Baas auquel adhéra très tôt le jeune officier Bakr ; le roi Hussein de Jordanie, dont le cousin, Fayçal II d'...

  • Afficher les 24 références