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APELLE (IVe s. av. J.-C.)

Retrouver la « grâce » d'Apelle

Ces passages constants du champ rhétorique à celui des arts ne pouvaient que donner envie aux artistes de se mesurer à Apelle, c'est-à-dire peindre en concurrence avec des textes. Dans cette perspective, la série des œuvres d'Apelle mentionnée par Pline a pu servir de réserve de sujets. Apelle excellait dans tous les genres. Le premier des portraitistes officiels, il était le seul autorisé à représenter Alexandre et fit des portraits des grands personnages de l'époque hellénistique : Philippe de Macédoine, Antigonos le Borgne, qu'il plaça habilement de trois quarts, ou Ménandre de Carie. La ressemblance de ses portraits permettait même aux metoscopoi, qui prédisent le destin d'après les traits du visage, d'annoncer le moment de la mort du modèle. Il inventa des représentations divines avec leurs attributs, Vénus Anadyomène, qui fixe l'image classique de la déesse sortant des flots, Alexandre en majesté, tenant le foudre comme s'il était Zeus, peint pour le temple d'Artémis à Éphèse, Castor et Pollux. Apelle multiplie les prouesses : raccourcis, personnages de dos, comme son Héraclès, pourtant immédiatement identifiable, cheval si bien fidèle qu'il trompe de vrais chevaux, illustrations de l'irreprésentable comme les éclairs ou le tonnerre. L'Apelle de Pline pousse au plus loin la perfection mimétique. Avec l'allégorie, c'est l'idée elle-même qui prend forme visible.

Dans ce répertoire de formes et de fables, la postérité n'avait qu'à puiser. Or, la qualité primordiale que Pline attribue à la peinture d'Apelle, c'est la grâce – venustas en latin, charis en grec. Techniquement, cette beauté se traduit dans le délié des lignes (subtilitas) qui rend inimitable une figure peinte par lui. L'éloge du peintre, selon les catégories inventées pour Apelle, a pour corollaire le jeu pictural qui consiste non à peindre d'après Apelle, mais d'après le corpus de textes qui en parlent. S'y sont essayés, après Botticelli, Mantegna (dessin au British Museum), Raphaël (dessin au Louvre) et Dürer en 1521 dans une fresque connue par un dessin de l'Albertina. La figure de la Vérité nue devint à ce point courante que la référence aux allégories d'Apelle n'est plus nécessaire à l'époque où elle inspire, en France, Antoine Caron.

<it>La Calomnie d'Apelle</it>, S. Botticelli - crédits : Leemage/ Corbis/ Getty Images

La Calomnie d'Apelle, S. Botticelli

La Calomnie de Botticelli, la plus célèbre des œuvres qui s'inspirent de la description de Lucien, réalise l'inverse de l'ekphrasis antique. La transposition d'art traditionnelle, dont la description par Homère du bouclier d'Achille constitue le modèle, se veut en effet description ornée d'une œuvre d'art – au point que le texte se substitue à l'objet et suscite seul l'admiration. Botticelli, probablement vers 1495, utilise le texte de Lucien repris par Leon Battista Alberti au livre III du Della pittura (1434) pour aboutir à une œuvre, citation qui ne prétend pas reproduire un antique perdu – ne serait-ce que parce qu'il ne se limite pas aux quatre couleurs d'Apelle, blanc, ocre, rouge, noir – mais innover. La Diane au milieu d'un cortège de jeunes filles d'Apelle était si parfaite que, au dire de Pline, elle « surpassait les vers d'Homère décrivant la même scène ». Le tableau de Botticelli se doit, inversement, de battre son concurrent : la description de Lucien.

La composition, en frise, s'apparente à celle des cassoni, les coffres de mariage florentins : Midas, entouré des allégories de l'ignorance et du soupçon, tend la main vers Rancœur, qui conduit Calomnie traînant à terre le calomnié. Piège et Fraude la parent et la coiffent. À l'écart, Pénitence, tête voilée, se tourne vers la Vérité nue. Autour d'eux, une architecture peuplée de statues et de reliefs inspirés de thèmes[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Adrien GOETZ. APELLE (IVe s. av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<it>La Calomnie d'Apelle</it>, S. Botticelli - crédits : Leemage/ Corbis/ Getty Images

La Calomnie d'Apelle, S. Botticelli

Autres références

  • BOTTICELLI SANDRO (1445-1510)

    • Écrit par Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE
    • 4 438 mots
    • 8 médias
    ...de Vénus enfin, exécutée comme Le Printemps pour Lorenzo di Pierfrancesco, illustre un sujet antique bien connu, l'Aphrodite Anadyomène d' Apelle, décrite par Pline, puis par Politien. Botticelli y trouve le point de départ d'une évocation merveilleuse, soutenue par des modulations graphiques...
  • CRITIQUE D'ART, Antiquité gréco-romaine

    • Écrit par Agnès ROUVERET
    • 4 815 mots
    ...des portraits féminins pleins d'humour. On relèvera surtout, chez Hérondas, le morceau de critique « populaire » à laquelle se livrent Kynnô et Philè devant les tableaux d'Apelle, dans l'Asclépieion de Cos. Les deux jeunes femmes sont surtout sensibles aux effets de réel de la peinture (chairs d'un enfant,...
  • GRÈCE ANTIQUE (Civilisation) - Les arts de la Grèce

    • Écrit par Pierre DEVAMBEZ, Agnès ROUVERET
    • 18 518 mots
    • 24 médias
    ... siècle fut probablement la peinture, non pas celle, industrielle, dont on va bientôt cesser de décorer les vases, mais celle de maîtres tels qu' Apelle. C'est sous son impulsion et celle de ses émules que cet art cessa d'être un dessin rehaussé de teintes plates, qu'il s'efforça avec succès, peut-on...
  • HISTOIRE NATURELLE. LIVRE XXXV, Pline l'Ancien - Fiche de lecture

    • Écrit par Adrien GOETZ
    • 1 070 mots
    ...littéraire susceptible, autant qu'elle, d'être admiré, l'exercice de transposition en peinture des descriptions de Pline n'est pas devenu une figure de style. La Calomnie d'Apelle de Botticelli (musée des Offices, Florence), tableau savant et complexe, s'inspire pourtant directement de Pline et de Lucien....

Voir aussi