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TCHEKHOV ANTON PAVLOVITCH (1860-1904)

L'originalité du dramaturge

Tchekhov sera attiré tout au long de sa vie par le dialogue direct avec le public, où, à l'abri de ses héros, caché derrière le décor, il s'épanche et s'exprime en dehors du rigide carcan imposé par sa conception de la nouvelle brève. Dès sa vingtième année, Tchekhov avait écrit une pièce qui ne fut publiée qu'en 1923 (Une pièce inédite de Tchekhov) et jouée à Paris sous le titre Ce fou de Platonov ; en 1885, il avait écrit Sur la grande route (Na bol'šoj doroge), étude dramatique en un acte ; en 1886, Le Chant du cygne (Kalkhas) et La Nocivité du tabac (O vrede tabaka), scène-monologue en un acte ; puis L'Ours (Medved', 1888), La Demande en mariage (Predloženie, 1889) Le Tragédien malgré lui (Tragik po nevole), Le Mariage (Svad'ba) et Le Sylvain (Lešij, 1890) ; en 1892, Le Jubilé (Jubilej). Depuis leur création, ces sketches en un acte sont joués, avec le même succès, sur les scènes russes. En 1889, Tchekhov termine Ivanov (commencé deux ans plus tôt), drame où, pour la première fois, il tente d'appliquer ses idées révolutionnaires sur le théâtre. Pourtant, de cette œuvre, Tchekhov avait dit qu'elle « n'était pas scénique ». Mais sa deuxième grande pièce, La Mouette, écrite neuf ans plus tard (1896), est bien moins « scénique » encore : « En dépit de toutes les règles de l'art dramatique, j'ai commencé ma pièce forte et l'ai achevée pianissimo... Je constate une fois de plus que je ne suis pas du tout dramaturge » (lettre à Souvorine, 21 novembre). Et pourtant son théâtre : La Mouette, L'Oncle Vania, Les Trois Sœurs, La Cerisaie, a envoûté des générations de spectateurs par la vérité profonde et subtile qui se dégage de ses lents cheminements et de ses silences.

« À quoi bon expliquer quoi que ce soit au public ? Il faut l'effrayer et c'est tout : il sera alors intéressé et se mettra à réfléchir une fois de plus », écrit Tchekhov à Souvorine (lettre du 17 décembre 1891). Une des clefs de son esthétique est de ne pas expliquer, mais de donner des chocs à la sensibilité et à l'imagination du lecteur ou du spectateur. L'un et l'autre doivent collaborer avec l'artiste, ne jamais rester passifs. C'est pourquoi Tchekhov ne fait que poser des jalons, entre lesquels il laisse des vides. Ces vides, ces pauses sont de plus en plus nombreux dans ses pièces, et leur rôle est primordial. Là encore, comme dans ses nouvelles, « sans commencement ni fin », Tchekhov triomphe des conventions les plus solidement établies. Une certaine forme d'imagination créatrice lui faisait défaut. Il n'avait jamais pu peindre une action de longue durée ou un caractère élaboré, dont les différentes faces se seraient exprimées dans des circonstances diverses. Son art n'est pas celui d'un romancier. Il est épigrammatique, percutant, allusif, et s'exprime en brefs coups de sonde, donnés de main de maître en ces points névralgiques où se forment les nœuds des destinées humaines. Or, le théâtre doit justement mettre l'accent sur ces moments privilégiés où se montrent à nu certains mouvements de l'âme. Tchekhov était éminemment doué pour une forme de théâtre lyrique, psychologique, « intériorisé ». Le drame de ses héros ne réside jamais dans l'action, mais plutôt dans leur incapacité d'agir : « les gens dînent, ils ne font que dîner, et pendant ce temps, s'édifie leur bonheur ou se défait leur existence tout entière » (paroles de Tchekhov rapportées par G. Ars, Quelques Souvenirs sur Tchekhov).

Sous cet art si nuancé couvait le sentiment tragique de la vie, si caractéristique du Tchekhov de la maturité et qui s'exprime dans ses Carnets, ses lettres et ses œuvres les plus marquantes.

Il existe pour Tchekhov deux paliers[...]

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Pour citer cet article

Sophie LAFFITTE. TCHEKHOV ANTON PAVLOVITCH (1860-1904) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Les Trois Sœurs </em>d'A. Tchekhov, mise en scène d'Alain Françon - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Les Trois Sœurs d'A. Tchekhov, mise en scène d'Alain Françon

Tchekhov - crédits : Bettmann/ Getty Images

Tchekhov

Autres références

  • LA CERISAIE (mise en scène A. Françon)

    • Écrit par Didier MÉREUZE
    • 1 108 mots

    Le 17 mars 2009, Alain Françon a signé son dernier spectacle en tant que directeur du Théâtre national de la Colline, avant de céder la place à Stéphane Braunschweig, ancien directeur du Théâtre national de Strasbourg. En l'espace de douze années, il aura fait de cette institution l'un des...

  • LA MOUETTE, Anton Tchekhov - Fiche de lecture

    • Écrit par Hélène HENRY
    • 1 271 mots
    • 1 média

    En 1895, Anton Tchekhov (1860-1904), médecin et écrivain, est l'auteur fécond et déjà célèbre de récits humoristiques, de nouvelles (Les Contes de Melpomène, 1884 ; Récits bariolés, 1886) qui réinventent le genre, d'un reportage saisissant sur le bagne de l'île Sakhaline (...

  • NOUVELLES, Anton Tchekhov - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean BONAMOUR
    • 1 116 mots
    • 1 média

    Anton Tchekhov (1860-1904) a publié des nouvelles depuis l'âge de vingt ans jusqu'à sa mort. Ces textes constituent la majeure partie de son œuvre et lui ont valu la célébrité à l'égal de son théâtre, avec lequel ils sont d’ailleurs organiquement liés. C'est par ses nouvelles aussi qu'il est devenu,...

  • PLATONOV (A. Tchekhov)

    • Écrit par Raymonde TEMKINE
    • 915 mots

    En 1880, Tchekhov a vingt ans, il se lance dans l'écriture d'une pièce de théâtre où il imagine pouvoir tout déverser de ce qui bouillonne en lui d'idées, de désirs, d'inquiétudes, d'espoirs. Son foisonnement et sa durée – six heures au moins – sont tels qu'elle est jugée injouable, et refusée. Tchekhov...

  • LE DOMAINE (L. Peries)

    • Écrit par Hubert NIOGRET
    • 936 mots

    Avec la guerre d'insurrection opposant les Tigres de Libération de l'Eelam tamoul au pouvoir de Colombo, le Sri Lanka n'a longtemps revêtu aucune autre actualité pour le reste du monde. Pourtant, dans un pays de dimension modeste, aux prises avec de grandes difficultés économiques, et qui...

  • DRAME - Drame moderne

    • Écrit par Jean-Pierre SARRAZAC
    • 6 057 mots
    • 7 médias
    Strindberg et Tchekhov ne se préoccupent plus, quant à eux, d'un pareil sauvetage des formes anciennes. Ils abandonnent sans remords leurs drames aux perversions du roman. Évoquant, dans une lettre à l'actrice Kommissarjevskaïa, Les Trois Sœurs, Tchekhov annonce avec une certaine jubilation...
  • RUSSIE (Arts et culture) - La littérature

    • Écrit par Michel AUCOUTURIER, Marie-Christine AUTANT-MATHIEU, Hélène HENRY, Hélène MÉLAT, Georges NIVAT
    • 23 999 mots
    • 7 médias
    ...Gorki (Gor'kij, 1868-1936), Ivan Bounine (Bunin, 1870-1953), Alexandre Kouprine (Kuprin, 1870-1938) et Léonide Andréïev (Andreev, 1871-1919). Porté à la perfection par Tchekhov qui peint les intellectuels moroses de sa génération avec le laconisme de l'humoriste et la lucidité impitoyable du...
  • RUSSIE (Arts et culture) - Le théâtre

    • Écrit par Béatrice PICON-VALLIN, Nicole ZAND
    • 8 643 mots
    ...puis psychologique – un naturalisme historique, lié aux réalisations des Meininger, qu'ils ont vues en tournées en 1890, naturalisme des « états d'âme », promu par la dramaturgie d'Anton Tchekhov qui, au carrefour du réalisme et du symbolisme, prend modèle sur la forme du roman. Leur programme artistique...

Voir aussi