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VITEZ ANTOINE (1930-1990)

La constante de l'écrit

Vitez, par son goût pour l'école, et encore plus par son goût pour l'écrit, se rattache à la lignée de Jacques Copeau, cofondateur de la N.R.F. avant d'être metteur en scène. Chez tous deux, l'activité théâtrale s'accompagne nécessairement d'une pensée sur le théâtre qui cherche à trouver sa plus parfaite expression écrite. Pour eux, à l'origine de la parole scénique, l'écrit est toujours présent, à la fois garant de la précision et vainqueur des accidents de l'oralité. Comme Copeau, Vitez n'a pas vraiment de système organisé, mais il affirme une pensée toujours en action. De là, sans doute, la propension pour le fragment et pour le texte court qui témoignent d'un point de vue rapide dont l'urgence, grâce au style, sera rendue à chaque fois encore plus aiguë.

Poète et traducteur, Vitez aime l'écrit. Il éclaire une œuvre et dégage son architecture tout en jouissant des splendeurs de la langue. Il ressuscite un genre archaïque, la déclamation publique, avec tout ce qu'il entraîne comme sentiment du temps. Cet « amour de la langue » n'est pas sans conséquence sur la pratique théâtrale. De fait, dans le théâtre français, la réévaluation de l'alexandrin en tant que forme dont le comédien doit admettre et exalter les contraintes aura pour origine son travail. Vitez entretient avec le mètre des rapports sensuels qu'il parvient à faire partager aussi bien aux élèves qu'à ses acteurs. C'est en 1975, avec Phèdre, qu'il met en scène à Ivry, que le théâtre français redécouvre la beauté archaïque de cette forme qui fait son originalité et que durant de nombreuses années on a voulue apprivoisée et adaptée au « naturel » de la langue contemporaine.

Déjà Roland Barthes, dans Dire Racine, s'insurgeait contre cette pratique, et Vitez a confirmé la justesse de ses observations. C'est que l'alexandrin satisfait le goût du metteur en scène pour la passion formalisée : la fureur des affects s'y confronte à la rigueur des normes et la théâtralité gît dans ce conflit auquel il sait rendre son entière tension. En ce sens, Vitez reste le metteur en scène le plus français, car le plus attentif à la langue. Il en est le prisonnier enchanté. Racine (Andromaque, 1971 ; Bérénice, 1980), Hugo (Hernani, Lucrèce Borgia, 1985), Claudel (Partage de midi, 1975 ; L'Échange, 1986 ; Le Soulier de satin, 1987) voilà « ses prisons ».

L'écrit, indéniablement, répond à son goût pour la durée. Du théâtre Vitez aime tout, sauf la disparition du spectacle qui souvent lui semble trop précipitée. Si, pour lui, l'écrit transforme la mise en scène en un art de la variation – dans la mesure, dit-il, où chaque spectacle n'est qu'une variante du texte qui subsiste –, il est aussi ce facteur de continuité qui oblige chaque metteur en scène à mettre le pas dans le pas des autres en suivant le chemin du texte. L'écrit rattache ainsi au passé, qui semble être à Vitez la vocation même du théâtre.

Parmi les premiers, Vitez a réévalué les expressions anciennes du théâtre en se réclamant de la tradition, lui qui fut souvent considéré comme l'exemple même de l'arbitraire. Ainsi pour ses Molière (L'École des femmes, Tartuffe, Le Misanthrope, Dom Juan, 1978), il a emprunté le modèle de la vieille troupe où l'on permute les rôles et où, implicitement, on peut produire ainsi des effets de lecture. Avec cette équipe-là ne réalisait-il pas l'union utopique de la famille et de la troupe ? À Chaillot, avec la complicité de Yannis Kokkos, son scénographe, il a renoué avec la vieille pratique tant décriée de la déclinaison de plusieurs pièces dans la même scénographie. Outre le projet esthétique, il y avait là une même quête de durée : le[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Georges BANU. VITEZ ANTOINE (1930-1990) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Antoine Vitez - crédits : Daniel SIMON/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Antoine Vitez

Autres références

  • DESCHAMPS JÉRÔME (1947- )

    • Écrit par Didier MÉREUZE
    • 1 157 mots

    Acteur et metteur en scène, Jérôme Deschamps est d’abord le fondateur de la troupe des Deschiens qu’il crée avec Macha Makeïeff. Il codirige avec cette dernière le Théâtre national de Nîmes de 2003 à 2007 et, de 2007 à 2015, il est à la tête de l’Opéra-Comique.

    Neveu du comédien...

  • DRAME - Les écritures contemporaines

    • Écrit par Jean-Pierre SARRAZAC
    • 6 535 mots
    • 2 médias
    ...l'écriture dramatiques du champ de la création théâtrale. La déferlante du théâtre-récit, depuis les années 1970, est un symptôme manifeste de cette tendance. Ce qui n'était encore, dans le propos d'Antoine Vitez – selon lequel on pouvait « faire théâtre de tout » et, en particulier, d'un texte « à...
  • KOKKOS YANNIS (1944- )

    • Écrit par Jean CHOLLET
    • 560 mots
    • 1 média

    Né à Athènes le 11 avril 1944, Yannis Kokkos manifeste dès sa prime jeunesse une appétence pour le domaine artistique, à travers peintures, dessins et maquettes. Après sa découverte du théâtre, il se consacre plus particulièrement à la création de décors et participe en 1955 à une exposition dans la...

  • LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

    • Écrit par Dominique RABATÉ
    • 7 278 mots
    • 13 médias
    ...(1887-1951) et Georges Pitoëff (1884-1939) fondent en 1927 le Cartel des quatre qui prépare la voie au Théâtre national populaire de Jean Vilar (1912-1971). Antoine Vitez (1930-1990) illustre cette vitalité des grands metteurs en scène de l’après-guerre. Passeur de textes russes, revisitant les tragédies de...
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Voir aussi