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ANTHROPOLOGIE URBAINE

L’anthropologie urbaine est une branche de l’anthropologie qui a pour objet l’étude des villes et de leurs sociétés. Elle s’est d’abord développée dans des pays ayant connu une urbanisation accélérée, principalement à la fin du xixe et au début du xxe siècle, comme les États-Unis, le Royaume-Uni, mais également l’Afrique australe minière sous domination britannique, avant d’émerger en France beaucoup plus tardivement, dans les années 1980. Il s’agissait notamment de comprendre comment l’urbanisation, alors en passe de devenir un phénomène planétaire, produisait un mode de vie particulier et quels bouleversements sociaux et culturels elle provoquait ; questions auxquelles l’anthropologie a tenté d’apporter une réponse singulière, marquée par l’ethnographie, mais aussi par des emprunts à d’autres disciplines, comme la sociologie et la géographie. S’est ainsi progressivement construit depuis plus d’un siècle un regard à la fois spécifique et pluriel sur les sociétés urbaines, leur fonctionnement et leur évolution. Ce regard n’a pas été sans faire débat au sein même de la discipline anthropologique, tout en contribuant à ouvrir celle-ci à l’analyse de nos mondes contemporains globalisés et désormais majoritairement urbanisés.

Les origines d’un regard singulier sur la ville : de Berlin « Großstadt » à Chicago, ville mosaïque

La grande ville ou métropole comme phénomène de civilisation émerge en Europe du Nord et aux États-Unis à la charnière des xixe et xxe siècles, et d’abord en Allemagne, où elle prend une ampleur particulière. Faisant jeu égal avec l’Angleterre industrielle, l’Allemagne connaît un développement urbain sans précédent. En quelques décennies, le pays passe d’un mode de vie globalement rural à un mode de vie majoritairement urbain. Un nouveau type de ville apparaît, la « métropole » (Großstadt), dont Berlin constituait alors la forme la plus aboutie. Capitale de la Prusse et de l’Allemagne réunies, Berlin devient la plus grande ville industrielle d’Europe, passant de 700 000 à 4 millions d’habitants entre 1867 et 1913. Elle présente un modèle social nouveau, que de nombreux sociologues allemands, dont Georg Simmel, vont étudier entre 1890 et 1920.

Simmel considère la métropole comme le creuset de la société moderne. Elle se caractérise selon lui par une mentalité et un style de vie particuliers (Simmel, 1903), dominés par l’individualisme des citadins et leur attitude de réserve et de distance devant la diversité des situations rencontrées dans les espaces publics. Pour Simmel, deux grandes figures urbaines émergent alors : « le blasé », citadin indifférent à la grande variété des scènes et des interactions urbaines qui s’offrent à lui ; « l’étranger » (Simmel, 1908), caractérisé par sa mobilité et sa situation marginale dans la société d’accueil. L’influence de Simmel sera importante chez les sociologues de l’école de Chicago qui le traduiront dès les années 1930 et reprendront certains de ses thèmes, comme l’individualisme, le blasé  et l’étranger (ou homme marginal).

Chicago, comme les autres grandes villes américaines, a connu une forte croissance : elle est passée de 4 500 habitants en 1840 à 1 100 000 en 1890 pour atteindre 3 500 000 en 1930, devenant ainsi la deuxième ville des États-Unis et un de leurs plus importants centres industriels et boursiers. Détruite en partie par un incendie en 1871, la ville a été partiellement reconstruite d’acier et de béton, la verticalité moderniste de ses gratte-ciel contrastant alors avec la misère des quartiers ethniques où vont se concentrer l’essentiel des problèmes sociaux et économiques. Ces quartiers sont occupés par des migrants européens, arrivés par millions aux États-Unis au xixe siècle, mais aussi par un nombre croissant de Noirs[...]

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Écrit par

  • : anthropologue, maître de conférences à l'université de Lyon-II-Lumière

Classification

Pour citer cet article

Thierry BOISSIÈRE. ANTHROPOLOGIE URBAINE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Chicago, 1929 - crédits : Chicago History Museum/ Getty Images

Chicago, 1929

Schéma des « aires concentriques » d’Ernest Burgess - crédits : Encyclopædia Universalis France

Schéma des « aires concentriques » d’Ernest Burgess

Autres références

  • MÉMOIRES URBAINES (anthropologie)

    • Écrit par Bianca BOTEA
    • 2 471 mots
    • 1 média

    Dans le domaine de l’anthropologie de la ville, les mémoires urbaines représentent un thème relativement neuf, qui a gagné en visibilité dans les années 2000. Cette expression fait référence à des processus, des pratiques et des supports de construction mémorielle (et de l’oubli) qui interviennent...

  • ANTHROPOLOGIE

    • Écrit par Élisabeth COPET-ROUGIER, Christian GHASARIAN
    • 16 158 mots
    • 1 média
    Signalons enfin une autre orientation de la discipline, l'anthropologie urbaine, qui se démarque de la sociologie par sa méthode spécifique et son horizon théorique et qui prend pour objet d'étude les grandes villes africaines ou américaines, les banlieues françaises, les entreprises ou les immeubles...
  • COMMERCES URBAINS ET MIGRATIONS

    • Écrit par Lucine ENDELSTEIN
    • 1 097 mots

    Avec la confection et l’artisanat, le commerce de détail est une activité associée de longue date aux migrations, au point que Georg Simmel déclarait dès 1908 que « l’étranger fait partout son apparition comme commerçant, et le commerçant comme étranger » (Simmel, 1990). Les réseaux de solidarité...

  • DIASPORAS URBAINES

    • Écrit par Anne-Christine TRÉMON
    • 1 588 mots
    • 1 média

    Ce qui caractérise la ville – coprésence d’étrangers, effervescence de la vie sociale, intensité des relations avec d’autres localités – tient, entre autres, à la présence de diasporas.

    Dès l’apparition des premières villes, des communautés de marchands forment des réseaux interconnectés...

  • MÉTROPOLISATION

    • Écrit par Dominique RIVIÈRE
    • 6 701 mots
    • 4 médias
    L’idée de différenciation voire de fragmentation qui accompagne la métropolisation renvoie aux inégalités socio-économiques entre habitants et usagers de la ville ; on pourrait presque évoquer une barrière, tant physique qu’administrative – et fiscale – et symbolique. Par exemple, des ...

Voir aussi