Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ACCULTURATION

L'acculturation contrôlée et planifiée

Eaton a introduit le concept d'acculturation contrôlée dans son étude sur la secte religieuse des huttérites aux États-Unis (1952) qui veut maintenir sa culture paysanne archaïque, qui est cependant obligée de tenir compte du nouveau milieu anglo-saxon où elle s'est réfugiée, mais qui ne laisse passer des influences extérieures que ce qui ne porte pas préjudice aux valeurs fondamentales du groupe. Si l'expression est récente, en réalité toute acculturation est plus ou moins dirigée, orientée et manipulée par l'un des deux groupes en présence, ou par des membres des deux groupes. Si on avait pu parler jadis d'une acculturation libre, c'est que le point de vue ancien, culturaliste, négligeait justement les aspects sociologiques, et particulièrement politiques, des phénomènes, comme leurs aspects psychologiques, dans la concurrence des pouvoirs et des prestiges. Aussi bien dans le contact entre tribus voisines (les Fon vainqueurs prenant les dieux des Yoruba vaincus pour se les attacher) que dans les rapports entre l'Occident et les prétendus « primitifs » (comme dans le cas des missions jésuitiques chez les Guarani), il y a toujours eu une stratégie de l'acculturation, soit que l'on s'efforce de maintenir les anciennes cultures natives (diviser pour régner), soit qu'au contraire on essaie de les assimiler, ce qui suppose leur dé-culturalisation préalable (par l'école, l'Église, etc.). Ce qu'il faut dire, c'est que – en l'absence d'une science sociale valable – l'acculturation contrôlée restait empirique, que les « projets » acculturatifs se soldaient alors par des échecs, faute de dominer les diverses variables en jeu, négligeant ainsi les possibilités incessantes de nouvelles créations totalement imprévisibles.

Mais nous sommes au siècle de la planification. L'acculturation va, de simplement contrôlée, devenir planifiée et rationnellement orientée. Cette constatation a une grande importance, d'abord pour une sociologie de la connaissance ; elle révèle que les sciences sociales, dans leur évolution théorique, suivent de très près les exigences ou les intérêts des grandes nations, à l'intérieur desquelles elles se forgent. Elles restent tributaires, inconsciemment du moins, de notre ethnocentrisme. L'anthropologie culturelle, en repoussant toute hiérarchie des cultures (les cultures sont différentes, mais il n'y a pas de cultures supérieures et inférieures), manifestait la réaction des États-Unis au colonialisme européen ; elle tendra même, de plus en plus, à substituer à la notion de « fertilisation » par les échanges culturels les descriptions des phénomènes pathologiques qui en seraient les conséquences obligatoires (dans une certaine mesure, tendance dirigée aussi contre la politique des services indigénistes des États-Unis qui voulaient assimiler les Indiens des réserves, après une époque de relative tolérance et de ségrégation des indigènes). L'anthropologie sociale, à partir de Malinowski, se met au service de la colonisation ; il s'agit de constituer une science des faits d'interprétation des civilisations, pour que la colonisation « réussisse » et que les administrateurs impériaux ne commettent plus les erreurs du passé. La sociologie française ne s'intéressera au problème qu'après la Seconde Guerre mondiale, en relation avec la politique de décolonisation, dont elle n'est que le pressentiment ou le premier reflet. L'acculturation planifiée apparaît avec la formation d'États indépendants en Asie, Océanie et Afrique, et avec la concurrence des divers impérialismes, soit économiques, soit idéologiques, autour de ces nouveaux États. Elle consiste : 1. à faire prendre en charge l'acculturation dans le seul sens de l'occidentalisation[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Paris-I

Classification

Pour citer cet article

Roger BASTIDE. ACCULTURATION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Candomblé - crédits : Jan Sochor/ Latincontent/ Getty Images

Candomblé

Autres références

  • AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Littératures

    • Écrit par Jean DERIVE, Jean-Louis JOUBERT, Michel LABAN
    • 16 566 mots
    • 2 médias
    ...Léopold Sédar Senghor (ceux qui formeront Chants d'ombre en 1945 sont presque tous écrits dès avant la Seconde Guerre mondiale), apparaît comme la réaction de défense de jeunes gens qui viennent de découvrir avec terreur le risque mortel que leur fait courir le processus d'acculturation dans lequel...
  • AMÉRINDIENS - Amérique du Nord

    • Écrit par Marie-Pierre BOUSQUET, Universalis, Roger RENAUD
    • 10 380 mots
    • 6 médias
    Cependant la crise est surmontée. De façon générale, les civilisations indiennes se relèvent. Renouveau qui n'est pas retour au passé, mais assimilation des influences coloniales, émergence d'indianités nouvelles qui se développent sur la base d'une réaffirmation des valeurs traditionnelles dans les conditions...
  • ART COLONIAL

    • Écrit par Véronique GERARD-POWELL, Alexis SORNIN
    • 8 370 mots
    • 2 médias
    ...visuelle de l'Europe prend un tour radicalement différent à partir de 1858 lorsque l'Empire britannique cherche à imposer son propre système de valeurs. Tout un ensemble d'institutions culturelles altère alors durablement la fonction et le sens de l'art dans la société indienne. Le cadre traditionnel des...
  • ASSIMILATION SOCIALE

    • Écrit par Shmuel Noah EISENSTADT
    • 9 403 mots
    Une immense littérature a essayé de répondre à cette question. On a retenu : l'acculturation, l' intégration totale et satisfaisante des candidats et la dispersion complète des candidats en tant que groupe au sein des principales sphères institutionnelles de la société d'accueil. Aussi bien peut-on...
  • Afficher les 26 références

Voir aussi