Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ACCULTURATION

Situation actuelle du problème : la perspective sociologique

Malgré tous ces progrès, le « culturalisme » nord-américain ne pouvait satisfaire les esprits européens, et l'apport de l'Europe (l'Europe de la sociologie ou de l'anthropologie sociale tournée vers l'anthropologie culturelle) à la clarification des problèmes de l'acculturation nous paraît considérable : il ne tend à rien de moins qu'à une révision de tout le système théorique élaboré en grande partie d'abord en Amérique.

Certes, il est indéniable que le culturel et le social peuvent se dissocier, et nous comprenons bien le point de vue américain, car ces dissociations ont été découvertes surtout dans les ethnies indiennes ; certaines d'entre elles sont complètement désorganisées, destructurées, cependant les individus conservent jalousement et maintiennent – sur la ruine de leurs systèmes sociaux détruits par l'arrivée des Blancs – les valeurs culturelles et leurs systèmes de pensée dans leur intégrité primitive. D'autres tribus au contraire ont perdu leurs systèmes anciens de valeur, ont adopté ceux des Blancs (sous l'influence surtout des missionnaires catholiques ou protestants) sans que leurs systèmes économiques, politiques et sociaux se soient désorganisés ; les normes de la vie communautaire résistent aux efforts déployés pour intégrer les Indiens aux nouveaux systèmes économiques, aux partis nationaux, à une société de type capitaliste et à famille nucléaire. Ces faits incontestables dépendent cependant, en dernière analyse, des situations dans lesquelles les contacts s'établissent, et avec l'apparition de cette nouvelle variable, les situations sociales de contact, la sociologie va rompre le cercle enchanté du culturalisme. Balandier en France, Gluckman en Angleterre, en parlant de la situation coloniale, n'ont pas été sans doute les premiers à employer l'expression et à souligner le fait ; on la trouve chez Herskovits et nous avons noté que le type des relations, amicales ou hostiles, était une des variables données dans le Memorandum – mais ce n'était qu'une « variable », alors que Balandier ou Gluckman vont en faire le ressort dernier d'explication : « Quand, procédant de manière unilatérale, elle [l'anthropologie culturelle] décèle les processus de changement par rapport au seul fonds traditionnel [ou « primitif »], elle ne peut guère que les énumérer et les classer ; de même, lorsqu'elle se limite à l'étude du « contact » entre « institutions » de même nature... » (Balandier, 1963). Et, abordant alors les notions de « situation » et de « phénomène social total », ce sociologue conclut : « Dans le cas de l' Afrique noire, société noire et société blanche participent à un même ensemble [c'est nous qui soulignons]. Le contact et ses effets ne peuvent être compris qu'à la condition d'être replacés dans des « ensembles », c'est-à-dire dans les totalités sociales qui les encadrent, les orientent et les unifient ».

En même temps que l'anthropologie culturelle établissait la série ordonnée de ces concepts, depuis le conflit jusqu'à l'assimilation, la sociologie nord-américaine (qui est partie du relationnisme allemand et n'a découvert Durkheim que bien après) établissait à son tour une série de concepts qui se trouvent être – dans le domaine de la société au lieu de l'être dans celui de la culture – parallèles aux premiers : ceux de compétition, d'accommodation et d'intégration sociales. La compétition entre les groupes peut être écologique (c'est-à-dire la lutte pour l'espace, qui est forcément, par ses racines biologiques, libre et non contrôlée), économique (avec la lutte des entreprises capitalistes ou, dans une même entreprise, entre employeurs et employés) ou sociale et [...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Paris-I

Classification

Pour citer cet article

Roger BASTIDE. ACCULTURATION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Candomblé - crédits : Jan Sochor/ Latincontent/ Getty Images

Candomblé

Autres références

  • AFRIQUE NOIRE (Culture et société) - Littératures

    • Écrit par Jean DERIVE, Jean-Louis JOUBERT, Michel LABAN
    • 16 566 mots
    • 2 médias
    ...Léopold Sédar Senghor (ceux qui formeront Chants d'ombre en 1945 sont presque tous écrits dès avant la Seconde Guerre mondiale), apparaît comme la réaction de défense de jeunes gens qui viennent de découvrir avec terreur le risque mortel que leur fait courir le processus d'acculturation dans lequel...
  • AMÉRINDIENS - Amérique du Nord

    • Écrit par Marie-Pierre BOUSQUET, Universalis, Roger RENAUD
    • 10 380 mots
    • 6 médias
    Cependant la crise est surmontée. De façon générale, les civilisations indiennes se relèvent. Renouveau qui n'est pas retour au passé, mais assimilation des influences coloniales, émergence d'indianités nouvelles qui se développent sur la base d'une réaffirmation des valeurs traditionnelles dans les conditions...
  • ART COLONIAL

    • Écrit par Véronique GERARD-POWELL, Alexis SORNIN
    • 8 370 mots
    • 2 médias
    ...visuelle de l'Europe prend un tour radicalement différent à partir de 1858 lorsque l'Empire britannique cherche à imposer son propre système de valeurs. Tout un ensemble d'institutions culturelles altère alors durablement la fonction et le sens de l'art dans la société indienne. Le cadre traditionnel des...
  • ASSIMILATION SOCIALE

    • Écrit par Shmuel Noah EISENSTADT
    • 9 403 mots
    Une immense littérature a essayé de répondre à cette question. On a retenu : l'acculturation, l' intégration totale et satisfaisante des candidats et la dispersion complète des candidats en tant que groupe au sein des principales sphères institutionnelles de la société d'accueil. Aussi bien peut-on...
  • Afficher les 26 références

Voir aussi