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PHYSIS

Physis (ϕ́υσις) est un des concepts fondamentaux de la philosophie grecque. Les Romains l'ont traduit par natura, mais le concept moderne de nature s'est trouvé engagé dans un certain nombre d'emplois, et surtout dans une série d'oppositions (nature et esprit, nature et grâce, nature et liberté, etc.), qui risqueraient de détourner l'historien des harmoniques elles-mêmes complexes de la notion grecque. L'unité des sens de la physis grecque se laisse le mieux comprendre à partir de l'étymologie du mot : ϕ́υσις vient de ϕ́υεσθαι, « naître », « croître » (de même que natura vient de nasci, « naître »). Ce sens étymologique sera rappelé, en un temps où il pouvait paraître déjà oublié, par des auteurs comme Platon (Sophiste, 265 c) et surtout Aristote (Métaphysique, Δ, 4, 1014 b 16 ; Physique, II, 1, 193 b 12-28). On le trouve à l'état pur chez certains présocratiques, notamment Empédocle (fragm. 8 Diels, 53 Bollack), chez qui physis signifie « naissance », « génération ». Mais Empédocle emploie le mot pour dire qu'« il n'y a naissance [ϕ́υσις] de rien, mais seulement mélange, échange de choses mélangées ».

La « physis » présocratique et sa postérité

La négation d'Empédocle ne doit pas faire illusion, car ce dernier est lui-même l'auteur d'un poèmeSur la physis, et la plupart des œuvres des présocratiques portent le même titre. Physis est donc d'abord le titre d'une question : D'où viennent les choses ? Comment naissent-elles et croissent-elles ? En quel sens l'étant vient-il à l' être ? Les réponses pourront diverger, et seuls certains présocratiques, comme les atomistes et Anaxagore, partageront la thèse d'Empédocle selon laquelle ce que l'on appelle naissance (ϕ́υσις) n'est qu'une composition nouvelle d'éléments préexistants. Mais le fait que, dès l'aurore de la philosophie grecque, physis désigne la question fondamentale, qui vaudra aux présocratiques le titre de physiologues ou de physiciens, ne va pas sans un certain nombre de présuppositions communes, qui caractériseront, avec des variantes, l'ensemble de la pensée grecque : si l'on se demande d'où viennent les choses, c'est qu'elles sont en devenir ; mais l'idée de croissance, avec ses implications biologiques, suggère que ce devenir n'est pas quelconque, accidentel, provoqué de l'extérieur : il est spontané et en même temps réglé par une sorte de nécessité interne, qui manifeste le dynamisme profond et caché (« la physis aime à se cacher », dit Héraclite, fragm. 123 Diels), inhérent à chaque chose comme à l'ensemble de l'univers organisé (κ́οσμος). Par un de ses aspects, la physis est la traduction philosophique de la notion populaire de moira, qui désigne la part, le lot, qui est certes imparti à chaque chose par une puissance supérieure, mais qui devient dès ce moment la loi interne de son existence ou, comme on dit, sa destinée.

À partir de là, la notion de physis se développera dans deux directions, l'une proprement philosophique, l'autre morale. La physis désignera, du premier point de vue, la nature profonde d'une chose, ce qui la constitue comme telle et, en même temps, la maintient une à travers ses variations, autrement dit son essence ou sa substance. D'un autre point de vue, la physis sera pour chaque être la limite de son devenir, limite qui ne peut être dépassée ou transgressée sans grave dommage pour l'intégrité et même l'identité de l'être considéré : hors de la physis, il n'y a que monstruosité dans l'ordre biologique, démesure et à tout le moins artifice dans l'ordre humain. La physis n'apparaît plus alors comme un fait universel (puisqu'il y a dans le [...]

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Pour citer cet article

Pierre AUBENQUE. PHYSIS [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANAXIMÈNE DE MILET (env. 550-env. 480 av. J.-C.)

    • Écrit par Universalis
    • 566 mots

    Né vers 556 av. J.-C., mort vers 480 av. J.-C., ce philosophe grec est l'un des trois représentants de l'école de Milet, considérés comme les premiers philosophes de l'Occident. Si Thalès tient pour acquis que l'eau est l'élément essentiel de toute matière, Anaximandre, son élève, dénomme la substance...

  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    ...ce qu'elle a du moins d'humainement réalisable, pense Dieu négativement à partir de l'expérience du mouvement, on se convaincra que la frontière entre physique et métaphysique n'est pas toujours claire, à tel point que l'on a pu dire que « le thème de la métaphysique n'est que la question limite d'une...
  • ARISTOTÉLISME MÉDIÉVAL

    • Écrit par Alain de LIBERA
    • 4 951 mots
    • 1 média
    ...de la nature et de la physique que, malgré l'hypothèque du problème de la création, le Moyen Âge tardif rencontre le plus étroitement l'aristotélisme. De fait, il lui emprunte l'essentiel, à savoir la détermination de l'objet de la physique : la nature (définie comme « le principe et la cause du mouvement...
  • DÉMOCRITE (460 av. J.-C.?-? 370 av. J.-C.)

    • Écrit par Fernando GIL, Pierre-Maxime SCHUHL
    • 1 631 mots

    Démocrite d'Abdère est un contemporain (un peu plus jeune) de Socrate (468-399), auquel il a longtemps survécu. Son nom est lié à celui d'un maître plus ancien, Leucippe, sur lequel nous savons peu de choses, mais qui passe pour avoir été l'élève de Zénon d'Élée. Nous sommes également mal renseignés...

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