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PHYSIS

La philosophie aristotélicienne de la nature

On pourrait être tenté, au premier abord, de retrouver cette même tendance chez Aristote. Aristote n'est-il pas le fondateur de la «  métaphysique », c'est-à-dire d'une science qui prétend étudier ce qui est au-delàde la nature, science première et éminente qui réduirait à un rang dérivé et second la science des réalités naturelles ? De fait, même si le titre « métaphysique » n'est pas d'Aristote lui-même, on trouve bien chez lui une idée de ce genre : « S'il n'y avait pas d'autre essence que celles qui sont constituées par la nature, la physique serait la science première ; mais s'il existe une essence immobile, celle-ci sera antérieure et il y aura une philosophie première » (Métaphysique, E, 1, 1026 a 27). Or la thèse constante d'Aristote est qu'une telle essence, non sujette au devenir, existe bien et qu'elle est transcendante à une « nature » que caractérise au contraire sa mobilité. Mais, quelques lignes plus bas, Aristote appelle « nature » l'essence immobile et divine elle-même ; car, au moment même où il dévalorise la « nature », Aristote ne peut s'empêcher d'attribuer à la surnature les prédicats éminemment positifs que la tradition grecque n'a jamais cessé d'associer à l'idée de physis : la spontanéité, l'autonomie, la substantialité, l'autosuffisance. Le principe du mouvement du ciel est lui-même une « nature » (Du ciel, I, 2, 269 a 5-7, b 1-6), ce qui veut dire qu'il ne relève ni du hasard ni même de l'art. Le Dieu d'Aristote n'est pas l'Artisan divin que suggérait parfois Platon, car l'artisan délibère, ordonne des moyens imparfaits à des fins toujours révocables. Aristote ne peut se résigner à introduire dans l'action divine de tels facteurs d'indétermination : la simplicité même de l'essence de Dieu exige qu'il agisse à la façon d'une « nature ».

Liée au mouvement et en cela inférieure à la parfaite immobilité du Premier Moteur, la nature retrouve toute sa positivité quand elle est opposée à l'art. Le livre II de la Physique définit l'être naturel comme « celui qui a en lui-même un principe de mouvement et de repos » (192 b 13-14). Alors que, dans l'art, l'agent est extérieur au produit ou à l'effet, la nature – tel un médecin qui se guérirait lui-même – est un principe immanent à l'être naturel. L'art ne peut dès lors rien faire d'autre que d'« imiter la nature » et de la « parachever » (198 b 15-17) : il n'ajoute rien à la nature, ne peut que mimer par des médiations laborieuses la spontanéité qui n'appartient qu'à elle ; tout au plus peut-il l'aider à produire ses effets – à la façon, dira Théophraste, du vigneron dont les soins permettent à la vigne de réaliser pleinement ses virtualités. La philosophie de la nature, désormais revendiquée comme telle sous le nom de « physique », se distinguera néanmoins sur un point capital de la prétendue « physique » des présocratiques : le principe immanent d'organisation des êtres naturels ne peut être la matière, qui est dénuée de déterminations, mais la forme et la fin, la forme étant le type réalisé par l'être naturel et la fin le développement et la perpétuation de cet être.

Chez Aristote, la nature est une notion centrale, mais par là même médiane. S'il y a un au-delà de la nature, qui est l'immobilité du Premier Moteur, il y a un en-deçà de la nature, qui est la matière, avec les résistances de laquelle la nature doit compter et qui est responsable de ses échecs. La nature aristotélicienne n'est pas si assurée qu'on ne puisse lui faire violence : ainsi Aristote oppose-t-il au mouvement [...]

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Pour citer cet article

Pierre AUBENQUE. PHYSIS [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANAXIMÈNE DE MILET (env. 550-env. 480 av. J.-C.)

    • Écrit par Universalis
    • 566 mots

    Né vers 556 av. J.-C., mort vers 480 av. J.-C., ce philosophe grec est l'un des trois représentants de l'école de Milet, considérés comme les premiers philosophes de l'Occident. Si Thalès tient pour acquis que l'eau est l'élément essentiel de toute matière, Anaximandre, son élève, dénomme la substance...

  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    ...ce qu'elle a du moins d'humainement réalisable, pense Dieu négativement à partir de l'expérience du mouvement, on se convaincra que la frontière entre physique et métaphysique n'est pas toujours claire, à tel point que l'on a pu dire que « le thème de la métaphysique n'est que la question limite d'une...
  • ARISTOTÉLISME MÉDIÉVAL

    • Écrit par Alain de LIBERA
    • 4 951 mots
    • 1 média
    ...de la nature et de la physique que, malgré l'hypothèque du problème de la création, le Moyen Âge tardif rencontre le plus étroitement l'aristotélisme. De fait, il lui emprunte l'essentiel, à savoir la détermination de l'objet de la physique : la nature (définie comme « le principe et la cause du mouvement...
  • DÉMOCRITE (460 av. J.-C.?-? 370 av. J.-C.)

    • Écrit par Fernando GIL, Pierre-Maxime SCHUHL
    • 1 631 mots

    Démocrite d'Abdère est un contemporain (un peu plus jeune) de Socrate (468-399), auquel il a longtemps survécu. Son nom est lié à celui d'un maître plus ancien, Leucippe, sur lequel nous savons peu de choses, mais qui passe pour avoir été l'élève de Zénon d'Élée. Nous sommes également mal renseignés...

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