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PASTORALE, genre littéraire

Demandons-nous d'abord pourquoi si peu de littératures ont élaboré des pastorales.

Avec leur économie paysanne de type maraîcher, quasi jardinier, comment Chinois et Japonais auraient-ils gaspillé en pâtures une terre assez généreuse (mais au Japon très exiguë), capable de prodiguer les cinq céréales et le soja ? Ignorants de notre « péché originel », comment ces gens auraient-ils rêvé d'un monde païen, innocent ? C'était le leur. Comment les Chinois auraient-ils exalté la yourte et le koumis de ces pasteurs nomades, des « barbares » à leur sentiment, qui toujours les investissaient, parfois les envahissaient ? Leurs poètes s'attendrissaient plutôt sur l'infortune des pauvrettes que la raison d'État expédiait parfois vers les tentes des chefs mongols ou des Xiongnu [Hiong-nou], nos Huns.

À défaut de pastourelles, les Chinois eurent pourtant, eux aussi, leurs magnanarelles. Le « chantez, chantez magnanarelles ! car la récolte aime les chants ! » a son écho en Chine, depuis près de deux mille ans au moins : grâce à Jean-Pierre Diény, on découvrit (Pastourelles et magnanarelles, essai sur un thème littéraire chinois, 1977) qu'à la fameuse pastourelle occitane de Marcabru, ce « poème à chanter », correspond et répond en Chine un autre « poème à chanter », un yue fou (yuefu), l'histoire de Louo Fou (Luofu), dont l'héroïne « excelle aux soins des mûriers ». Anonyme, ce texte daterait des Han postérieurs : 25-220. Comme la jouvencelle de Marcabru, la magnanarelle chinoise bafoue le monsieur qui voulait se jouer d'elle en jouant avec elle au jeu d'amour. De sorte que : « Mille ans avant l'apparition de la pastourelle française, la poésie chinoise met en scène ses deux acteurs principaux. Quoique le décor diffère, les rôles se ressemblent. Un voyageur sans scrupules, non pas chevalier mais mandarin, rencontre d'aventure une campagnarde, non pas bergère mais cueilleuse de mûrier, et il tente de la séduire. » Cependant, l'auteur estime qu'il n'aura pas « le front de situer en Chine l'origine de la pastourelle, vainement cherchée de tous côtés jusque dans le monde arabe ». En revanche, et à bon droit, il insiste sur la « convergence remarquable » entre le sens de la pastourelle occitane et de la magnanarelle chinoise, du point de vue poétique aussi bien que sociologique : dans les deux cas, l'héroïne oppose au séducteur un refus inflexible. De plus, l'une et l'autre se signale par son astuce, son franc-parler, autant que par sa vertu, « et triomphe au jeu même de son adversaire en lui empruntant ses propres armes ». Bref, « l'ambiguïté de la magnanarelle rappelle celle de la bergère ». M. Diény relie cette thématique chinoise, d'une part, aux rencontres saisonnières des gars et des filles au moment du printemps, ce que l'on trouve déjà au Che King (Shi jing), tel que Granet l'interprétait ; de l'autre, aux « rites et mythes de la mûreraie «  : de même qu'en Chine c'est le roi en personne qui doit inaugurer les labours, c'est la reine elle-même qui cueille les premiers mûriers.

Pasteurs sans doute, mais plus encore guerriers, les poètes arabes chantent donc l'honneur tribal, la guerre, la mort des amis, celle des ennemis. Islamisés, ils instaurent entre l'homme, ses femmes, ses concubines, des rapports tels qu'ils excluent et le mythe de don Juan et celui d'une Arcadie. Aux bergers enrubannés de l'Europe pastorale s'oppose virilement, virulemment, le mâle enturbanné. Malheur là-bas aux bergères légères !

Quant aux Peuls de l'Adamawa et du Fouta-Djalon, islamisés eux aussi, et embourgeoisés qu'ils sont déjà en partie, ils méprisent les Peuls pasteurs des hautes terres, les nbororo'en de l'hooseere qu'ils[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur de littérature française à l'université de Sassari, Italie
  • : ancienne élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-X
  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV
  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)

Classification

Pour citer cet article

Daniela DALLA VALLE CARMAGNANI, Jacqueline DUCHEMIN, ETIEMBLE et Charlotte VAUDEVILLE. PASTORALE, genre littéraire [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ABENCÉRAGE L'

    • Écrit par Charles Vincent AUBRUN
    • 786 mots

    C'est une courte nouvelle d'aventures galantes et chevaleresques. La meilleure version qui nous en soit parvenue parut sous le titre de El Abencerraje dans un ouvrage de miscellanées littéraires, El Inventario (Medina del Campo, 1565, sous le nom d'Antonio de Villegas). Ce roman pastoral,...

  • L'ASTRÉE, Honoré d'Urfé - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 511 mots

    On a, de nos jours, trop tendance à négliger les grands romans des xvie et xviie siècles. On se fie à Cervantès pour repousser les romans de chevalerie, on croit sur parole les Scarron, Sorel et autres Furetière, qui parodient les auteurs d'Amadis, de L'Astrée et du Grand Cyrus, en...

  • BASQUES

    • Écrit par Universalis, Jean HARITSCHELHAR, Pierre LAFITTE, Pierre LETAMENDIA, Maitane OSTOLAZA
    • 13 395 mots
    • 3 médias
    Parallèlement à l'essor du théâtre classique, un autre genre, traditionnel pourtant, retrouvera une nouvelle jeunesse. Il s'agit de la pastorale, théâtre psalmodié, introduit en Soule depuis le xve siècle apparemment. Longtemps cantonnée dans les thèmes religieux (vies de saints, etc.), la pastorale...
  • BION (IIIe s. av. J.-C.)

    • Écrit par Dominique RICHARD
    • 177 mots

    Né près de Smyrne, Bion passe une partie de sa vie en Sicile. Poète bucolique, probablement disciple immédiat de Théocrite, il chante la vie pastorale et les amours héroïques dans le style de ce grand poète alexandrin qui inspirera Virgile ainsi que les parnassiens du xixe siècle. Nous possédons...

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Voir aussi