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PASTORALE, genre littéraire

Perspectives

La pastorale est plus vivace en Europe qu'on ne le dit souvent : elle n'a jamais cessé depuis Sacchetti. L'auteur d'Ubu Roi est aussi celui d'une Pastorale publiée en 1897, qui s'ouvre sur :

L'espoir des prés et le sourire du ciel calme pour se clore sur ce très beau vers : L'ivoire courbé pair au front bas des taureaux.

Amyntas, Corydon, Mopsus hantent Gide. Tout imprégnées qu'on les sache de réminiscences livresques (Hāfiz, Sa'adi, Khāyyam, le Divan de Goethe), Les Nourritures terrestres, aussi lues au xxe siècle qu'au xviieL'Astrée, ravivent le bucolique pour réagir contre une littérature, la symboliste, qui « sentait furieusement le factice et le renfermé » ; elles se piqueront de « poser simplement sur le sol un pied nu ». Naturisme et pédérastie : « Berger, viens ! (Je mâche une feuille de vigne) [...] Et ce que je vis de plus beau ce jour-là ce fut un troupeau de brebis que l'on menait à l'étable. » Non pas seulement pédérastie : la pastorale gidienne se prétend aussi apologie du « dénuement ». Et Giono ! Timpon, gargoulette, flûte éolienne, chants et jeux dramatiques de bergers sous Le Serpent d'étoiles, qui donc jamais chanta plus lyriquement, plus paniquement, l'existence des pasteurs ? Mais prenons-y garde : à contre-courant (et en contrepoint) du piétinement gourd des troupeaux de soldats qu'on traîne aux abattoirs, voici cheminer, sagement gouvernés (c'est le mot) par leurs baïles, les troupeaux de brebis et béliers transhumants que travaille le désir des hautes pâtures et de l'agnelage. Bien qu'il s'agisse des paysans plutôt que des pasteurs, et puisque la paix, la frugalité, l'innocence, l'amour furent et demeurent les valeurs de la pastorale, quelle plus évidente pastorale que, du même Giono, cette Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, dont le défaitisme délibéré conduisit l'auteur en prison par deux fois ? Pour une fois, la pastorale au sens littéraire coïncide avec la pastorale au sens épiscopal. Berger lui-même sous l'Occupation, Elian J. Finbert, juif égyptien de langue française, ami des chameaux, épris de sagesse malgache, a transposé son expérience dans un long roman pastoral, Hautes Terres, qui dit les « grandes forces élémentaires », les « puissances terribles de l'amour qui assaillent les hommes solitaires sur les cimes » ; s'y découvrant lui-même « à travers d'autres transhumances », il fustige « les personnages faisandés de la sexualité et de l'introspection pathologique » qui déshonoreraient une grande part de nos lettres. Voici enfin chez Lucienne Desnoues renaître une poésie pastorale en mètres souvent réguliers ; après La Fraîche (1959), c'est La Plume d'oie (1971) qui refuse la pointe Bic. On n'aspire qu'à poser sur la table

Le fromage sans parure,L'eau de source et le quignon.

Belge de passeport et belle-fille du poète Norge, elle a conscience de sa filiation spirituelle :

À moi fille des pâtures Quel vieux parentage grec A légué ce goût du sec Et des plantes à la dure ?

Parentage en vérité, puisque la pastorale chez nous se réclame non pas seulement de Théocrite mais de Stésichore d'Himère, de Diomus de Syracuse, alors que peu d'Européens connaissent le Gita Govinda ; très peu, les Pastorales de Sūr-Dās.

Bref, dès l'Antiquité classique, mais surtout de la Renaissance à nos jours, le genre pastoral s'est opposé aux valeurs dominantes. De sorte que ce « scandale des amours printanières », la Chine s'efforcera de le moraliser, en récupérant le « thème pernicieux », de la même façon qu'en Europe la bergère des pastourelles moralisantes « donne une leçon au chevalier cynique ». Tant et si bien que « certains troubadours et trouvères[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur de littérature française à l'université de Sassari, Italie
  • : ancienne élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-X
  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV
  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (IVe section)

Classification

Pour citer cet article

Daniela DALLA VALLE CARMAGNANI, Jacqueline DUCHEMIN, ETIEMBLE et Charlotte VAUDEVILLE. PASTORALE, genre littéraire [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ABENCÉRAGE L'

    • Écrit par Charles Vincent AUBRUN
    • 786 mots

    C'est une courte nouvelle d'aventures galantes et chevaleresques. La meilleure version qui nous en soit parvenue parut sous le titre de El Abencerraje dans un ouvrage de miscellanées littéraires, El Inventario (Medina del Campo, 1565, sous le nom d'Antonio de Villegas). Ce roman pastoral,...

  • L'ASTRÉE, Honoré d'Urfé - Fiche de lecture

    • Écrit par Christian BIET
    • 1 511 mots

    On a, de nos jours, trop tendance à négliger les grands romans des xvie et xviie siècles. On se fie à Cervantès pour repousser les romans de chevalerie, on croit sur parole les Scarron, Sorel et autres Furetière, qui parodient les auteurs d'Amadis, de L'Astrée et du Grand Cyrus, en...

  • BASQUES

    • Écrit par Universalis, Jean HARITSCHELHAR, Pierre LAFITTE, Pierre LETAMENDIA, Maitane OSTOLAZA
    • 13 395 mots
    • 3 médias
    Parallèlement à l'essor du théâtre classique, un autre genre, traditionnel pourtant, retrouvera une nouvelle jeunesse. Il s'agit de la pastorale, théâtre psalmodié, introduit en Soule depuis le xve siècle apparemment. Longtemps cantonnée dans les thèmes religieux (vies de saints, etc.), la pastorale...
  • BION (IIIe s. av. J.-C.)

    • Écrit par Dominique RICHARD
    • 177 mots

    Né près de Smyrne, Bion passe une partie de sa vie en Sicile. Poète bucolique, probablement disciple immédiat de Théocrite, il chante la vie pastorale et les amours héroïques dans le style de ce grand poète alexandrin qui inspirera Virgile ainsi que les parnassiens du xixe siècle. Nous possédons...

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Voir aussi