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ART (L'art et son objet) L'attribution

Actualité de l'attribution

Quelles sont, aujourd'hui, la fonction et la valeur de l'attribution dans l'histoire de l'art ? Elle semble avoir perdu ce rôle de technique pilote qu'elle pouvait présumer avoir au temps de Morelli. Des propos tels que ceux tenus par le jeune Berenson à Bergame ne seraient plus compréhensibles aujourd'hui. En premier lieu, grâce au travail de générations de connaisseurs, les terres connues sont à présent, dans l'histoire de l'art, plus étendues qu'elles ne l'étaient à la fin du xixe siècle, et la pratique de l'attribution s'est graduellement déplacée vers des domaines très spécialisés (on peut voir par exemple avec quelle virtuosité elle est pratiquée de nos jours pour les dessins). C'est pourquoi, bien qu'elles soient loin d'être épuisées, les possibilités de découvertes sensationnelles, de reconstitutions révolutionnaires sont moins fréquentes (la découverte de Stefano Fiorentino, l'un des disciples de Giotto, fut menée récemment de façon géniale par Longhi, même si le résultat est loin d'être assuré). Il est vrai que quelques vieux problèmes restent controversés : l'activité de Giotto à Assise, les rapports entre le Maître de Flémalle et Roger Van der Weyden, ou entre Hubert et Jan Van Eyck, mais, dans l'ensemble, l'intérêt s'est maintenant déplacé. Derrière ce phénomène, il y a une réalité culturelle en mouvement. À la base de la situation privilégiée de l'attribution se trouvent des conditions culturelles particulières. Selon la première – que nous pourrions appeler positiviste – la pratique scientifiquement contrôlée de l'attribution aurait autorisé, une fois pour toutes, une vérité historique absolue (c'était là, par exemple, l'attitude de Berenson dans sa jeunesse). L'autre position, plus riche et plus nuancée, est celle des historiens de l'art de formation néo-idéaliste. Pour eux, l'attribution est l'unique méthode permettant de connaître et de mieux apprécier, dans leur complexité problématique, dans leur portée historique, dans leurs rapports réciproques, chacune des personnalités artistiques, ce qui, postulant la réduction de l'histoire de l'art à celle des artistes (de leurs personnalités esthétiques, et non empiriques, bien entendu), équivaut à donner de nouveau l'avantage à cette approche particulière par rapport aux autres.

Ce ne sont pas là les tendances qui prévalent aujourd'hui et, dans l'histoire de l'art, s'affrontent divers courants, qui se rattachent à la psychologie de la perception (Arnheim, Gombrich, Ehrenzweig), à la sociologie (Antal, Klingender, Hauser), à l'iconographie et à l'iconologie (Warburg, Saxl, Panofsky, Wind, Wittkower), à la psychanalyse (Kris, Abell) et à l'ethnologie (Kubler). On ne pense plus que la lecture du style est le but ultime de l'histoire de l'art ; cette dernière propose à sa recherche une thématique de plus en plus vaste : la naissance de l'œuvre d'art dans ses rapports avec la perception et la psychologie des profondeurs, le sens et l'histoire de son contenu, sa destination, son utilité et son rôle social et culturel.

La condition le plus souvent anonyme des œuvres artistiques n'autorise en aucune façon à considérer que la pratique de l'attribution est dépassée ; elle présente vraisemblablement, pour l'histoire de l'art, une valeur indéniable en ce qu'elle permet de préciser les coordonnées spatio-temporelles d'une œuvre et de constituer des groupes qui pourront être ensuite combinés de diverses façons, de préparer le terrain et les matériaux pour n'importe quelle théorie, en un mot d'imposer un premier ordre au désordre apparent des faits. « D'abord connaisseur, ensuite historien » : cette assertion de Pietro Toesca conserve[...]

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Pour citer cet article

Enrico CASTELNUOVO. ART (L'art et son objet) - L'attribution [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<it>Vierge en trône</it>, C. Tura - crédits :  Bridgeman Images

Vierge en trône, C. Tura

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE DE L'ART

    • Écrit par Brigitte DERLON, Monique JEUDY-BALLINI
    • 3 610 mots
    • 1 média

    L’anthropologie de l’art désigne le domaine, au sein de l’anthropologie sociale et culturelle, qui se consacre principalement à l’étude des expressions plastiques et picturales. L’architecture, la danse, la musique, la littérature, le théâtre et le cinéma n’y sont abordés que marginalement,...

  • ART (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 282 mots

    Les liens qui ont longtemps uni l’art et la religion se sont-ils distendus au fil de l’histoire ? L’art s’est-il émancipé de la religion pour devenir une activité culturelle autonome ? Alain (1868-1951) se serait-il trompé en affirmant que « l’art et la religion ne sont pas deux choses,...

  • FINS DE L'ART (esthétique)

    • Écrit par Danièle COHN
    • 2 835 mots

    L'idée des fins de l'art a depuis plus d'un siècle et demi laissé la place à celle d'une fin de l'art. Or, à regarder l'art contemporain, il apparaît que la fin de l'art est aujourd'hui un motif exsangue, et la question de ses fins une urgence. Pourquoi, comment en est-on arrivé là ?

  • ŒUVRE D'ART

    • Écrit par Mikel DUFRENNE
    • 7 938 mots

    La réflexion du philosophe est sans cesse sollicitée par la notion d'œuvre. Nous vivons dans un monde peuplé des produits de l'homo faber. Mais la théologie s'interroge : ce monde et l'homme ne sont-ils pas eux-mêmes les produits d'une démiurgie transcendante ? Et l'homme anxieux d'un...

  • STRUCTURE & ART

    • Écrit par Hubert DAMISCH
    • 2 874 mots

    La métaphore architecturale occupe une place relativement insoupçonnée dans l'archéologie de la pensée structurale qu'elle aura fournie de modèles le plus souvent mécanistes, fondés sur la distinction, héritée de Viollet-le-Duc, entre la structure et la forme. La notion d'ordre, telle que l'impose la...

  • TECHNIQUE ET ART

    • Écrit par Marc LE BOT
    • 5 572 mots
    • 1 média

    La distinction entre art et technique n'est pas une donnée de nature. C'est un fait social : fait qui a valeur institutionnelle et dont l'événement dans l'histoire des idées est d'ailleurs relativement récent. C'est dire qu'on ne saurait non plus considérer cette distinction comme un pur fait de connaissance...

  • 1848 ET L'ART (expositions)

    • Écrit par Jean-François POIRIER
    • 1 189 mots

    Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...

  • ACADÉMISME

    • Écrit par Gerald M. ACKERMAN
    • 3 543 mots
    • 2 médias

    Le terme « académisme » se rapporte aux attitudes et principes enseignés dans des écoles d'art dûment organisées, habituellement appelées académies de peinture, ainsi qu'aux œuvres d'art et jugements critiques, produits conformément à ces principes par des académiciens, c'est-à-dire...

  • ALCHIMIE

    • Écrit par René ALLEAU, Universalis
    • 13 642 mots
    • 2 médias
    ...phénomènes perçus par nos sens et par leurs instruments. Cette hypothèse peut sembler aventureuse. Pourtant, le simple bon sens suffit à la justifier. Tout art, en effet, s'il est génial, nous montre que le « beau est la splendeur du vrai » et que les structures « imaginales » existent éminemment puisqu'elles...
  • ARCHAÏQUE MENTALITÉ

    • Écrit par Jean CAZENEUVE
    • 7 048 mots
    ...le succès correspond peut-être à un besoin accru encore par les progrès de la pensée positive et pour ainsi dire en réaction contre elle. D'autre part, on peut trouver dans la vie artistique, sous toutes ses formes, la recherche d'une harmonie entre le subjectif et l'objectif, en même temps qu'un retour...
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