INTERTEXTUALITÉ THÉORIE DE L'
Années 1980 : productivité et refonte du concept
Les années 1979-1982, particulièrement riches en nouvelles publications, témoignent de l'entrée du concept d'intertextualité dans sa phase de maturité. Les travaux de Michaël Riffaterre (La Production du texte, Seuil, 1979 ; « La Syllepse intertextuelle », in Poétique, no 40, Seuil, nov. 1979 ; « La Trace de l'intertexte », in La Pensée, Paris, oct. 1979 ; Sémiotique de la poésie, Seuil, 1982) occupent incontestablement une position dominante dans ce secteur de la recherche critique. On y voit se définir une conception hyperextensive du concept : « L'intertexte est la perception, par le lecteur, de rapports entre une œuvre et d'autres qui l'ont précédée ou suivie », et la démarche de Riffaterre conduit – au moins en principe – à identifier résolument intertextualité et littérarité : « L'intertextualité est [...] le mécanisme propre à la lecture littéraire. Elle seule, en effet, produit la signifiance, alors que la lecture linéaire, commune aux textes littéraires et non littéraires, ne produit que le sens. » Mais, comme le souligne Gérard Genette, qui cite ces définitions dans Palimpsestes, « cette extension de principe s'accompagne d'une restriction de fait, car les rapports étudiés par Riffaterre sont toujours de l'ordre des microstructures sémantico-stylistiques, à l'échelle de la phrase, du fragment ou du texte bref, généralement poétique. La « trace » intertextuelle selon Riffaterre est donc davantage (comme l'allusion) de l'ordre de la figure ponctuelle (du détail) que de l'œuvre considérée dans sa structure d'ensemble ». En effet, en dépit de certaines formulations très hégémoniques du concept d'intertextualité, les recherches foisonnantes de Riffaterre (sur Baudelaire, Breton, Desnos, Du Bellay, Eluard, Gautier, Gracq, Hugo, Leiris, Mallarmé, Ponge...) se caractérisent par la mise en œuvre d'un dispositif sémiotique centré sur l'élucidation de phénomènes intertextuels très circonscrits. L'ensemble de ces analyses est bien donné pour représentatif d'un nouveau mode de lecture où se révélerait l'énigme même de la littérarité et où le texte prendrait pleinement sa signifiance, mais en pratique le concept d'intertextualité est utilisé par Riffaterre dans les limites d'une instrumentalité stylistique et sémiotique qui reconduit les hypothèses formulées par Kristeva en les lestant d'une riche et pleine expérience des textes.
La seconde importante contribution du début des années 1980 fut l'ouvrage d' Antoine Compagnon, commencé vers 1975 et publié en 1979, La Seconde Main ou le Travail de la citation (Seuil), qui donnait pour la première fois une vaste étude systématique de la pratique intertextuelle de la citation. Conçue comme « répétition d'une unité de discours dans un autre discours », la citation est la reproduction d'un énoncé (le texte cité) qui se trouve extrait d'un texte origine (texte 1) pour être introduit dans un texte d'accueil (texte 2). Si cet énoncé proprement dit reste lui-même inchangé du point de vue de son signifiant, le déplacement qu'il subit modifie son signifié, produit une valeur neuve et entraîne une transformation qui affecte tout à la fois le signifié du texte cité et le texte d'accueil où il se réinsère. En systématisant cette description du processus citationnel, Antoine Compagnon propose de penser ce processus comme modèle de l' écriture littéraire qui serait structurellement aux prises avec la même exigence transformationnelle et combinatoire : « Le travail de l'écriture est une récriture dès lors qu'il s'agit de convertir des éléments séparés et discontinus en un tout continu et cohérent [...] toute écriture est collage[...]
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Écrit par
- Pierre-Marc de BIASI : ancien élève de l'École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé de l'Université, docteur en sémiologie, chargé de recherche au CNRS, directeur adjoint de l'Institut des textes et manuscrits modernes
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