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ROUSSEAU THÉODORE (1812-1867)

L'apport de Théodore Rousseau

Théodore Rousseau occupe à plus d'un titre une place importante dans l'histoire de l'art du xixe siècle : sa personnalité artistique, sa carrière et le mythe qui s'est forgé autour de lui. Il jeta un défi aux idées académiques sur le paysage et donna à ce genre pictural une nouvelle orientation. Grâce à lui, le paysage fut enfin reconnu comme égal de la peinture d'histoire puis remplaça partiellement celle-ci comme genre dominant de l'art français. S'il lui ouvrit la voie qui menait du romantisme au naturalisme, son naturalisme à lui demeure d'inspiration romantique : il avait pour base une identification émotionnelle et quasi mystique de l'artiste avec la nature. Paradoxalement, ce naturalisme empathique entraîna l'artiste vers un degré d'abstraction sans précédent, alors qu'il était en quête de moyens plus directs et expressifs pour traduire les sentiments de la nature. La touche systématiquement divisée, les couleurs renforcées et les compositions aplaties de sa dernière période sont autant de procédés repris par les impressionnistes, encore que ceux-ci les aient utilisés à des fins complètement différentes. Contraint d'opérer hors du système officiel du mécénat et des prix dont le Salon était la clef de voûte, Rousseau dut chercher d'autres moyens de faire connaître son œuvre au public. Le marchand d'art se révéla pour lui la seule alternative valable au Salon. Le fait qu'un artiste de sa stature ait construit sa carrière sur les galeries d'art – à certains moments de sa carrière, les galeries étaient d'ailleurs les seuls lieux où l'on pouvait voir ses tableaux – a servi à légitimer à la fois le rôle du marchand d'art et la poursuite d'une carrière artistique hors des circuits officiels. Vers le milieu du siècle, les critiques considéraient cette substitution des galeries d'art au Salon comme le phénomène majeur de la vie artistique contemporaine.

Le mythe du grand refusé qui avait pris naissance avec la lettre ouverte de Thoré en 1844 s'amplifia encore après la mort de l'artiste. Le revirement de la critique en sa faveur, qui avait commencé de son vivant, se confirma et fut même suivi d'une hausse de la valeur de ses tableaux. Peu après la mort de l'artiste, l'un de ses amis, Alfred Sensier, entama la publication de ses Souvenirs sur Théodore Rousseau dans La Revue de l'art et de la curiosité. En 1872, les Souvenirs reparurent sous la forme d'un livre qui fixa l'image de l'artiste pour le siècle à venir. Rousseau devenait l'archétype de l'artiste isolé, méprisé par la société mais déterminé à poursuivre jusqu'au bout son parcours indépendant. Son art était perçu comme une protestation solitaire contre la destruction de la nature et la séparation de l'homme d'avec celle-ci sous la poussée de deux forces inexorables : l'urbanisation et l'industrialisation. Représentation non point fausse, mais incomplète. Il convient de rappeler que l'artiste comptait parmi ses mécènes quelques-uns des plus grands industriels de son temps, amateurs fervents de sa peinture de paysage.

Tout comme Rousseau a aidé l'art à s'adapter aux nouveaux mécanismes commerciaux du xixe siècle, il a donné de la nature une image qui, même dans son opposition au nouvel ordre urbain, était acceptable pour cet ordre et, d'une certaine façon, contribuait à le servir. Dès lors, le mythe de Rousseau assumait une portée historique. Symbole de l'opposition à l'art académique, l'artiste fut pour l'avant-garde naissante une figure exemplaire.

— Jeremy STRICK

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Écrit par

  • : assistant curator, National Gallery of Art, Washington

Classification

Pour citer cet article

Jeremy STRICK. ROUSSEAU THÉODORE (1812-1867) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Paysage, site d'Auvergne</it>, T. Rousseau - crédits :  Bridgeman Images

Paysage, site d'Auvergne, T. Rousseau

<it>Un marais dans les landes</it>, T. Rousseau - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Un marais dans les landes, T. Rousseau

<it>Mare et lisière de bois</it>, T. Rousseau - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Mare et lisière de bois, T. Rousseau

Autres références

  • BARBIZON ÉCOLE DE

    • Écrit par Jacques de CASO
    • 3 471 mots
    • 7 médias
    ...Si l'on voulait définir l'art des peintres de Barbizon en fonction de leur dévotion à la nature, celle où présence et action de l'homme sont exclues, Théodore Rousseau (1812-1867) s'imposerait comme le représentant le plus complet du groupe. Beaucoup plus attaché que ses camarades à Fontainebleau et...

Voir aussi