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TONAL SYSTÈME

Évolution et désagrégation

La description qui précède s'applique à un système tonal considéré pour ainsi dire comme un archétype. À aucun moment de l'histoire on ne pourrait le saisir ainsi dans son idéalité pure, parce qu'il s'est constitué petit à petit, vers le xvie siècle, à une époque où n'existait que des tempéraments inégaux ; il a connu une longue évolution et il n'y a pas un point précis à partir duquel les principes d'autodestruction qui étaient en lui ont commencé à le saper par la base. Pourtant, c'est un fait que le système tonal s'est désagrégé de lui-même et qu'au xxe siècle il ne tient plus que des positions d'arrière-garde, encore solides mais dépassées presque partout par le flot envahissant des techniques nouvelles.

Quels étaient donc ces principes d'autodestruction qui, organiquement liés à la substance même du système tonal, ont fait et ne pouvaient manquer de faire leur œuvre ? Pour bien les comprendre, il importe de voir que l'enrichissement incontestable que ce système a apporté à la musique de l'Occident n'allait pas sans contrepartie. Le faisceau des lois naturelles – ou très proches des données naturelles – qu'il a mises en évidence et qui lui ont permis de se constituer et de s'imposer avec toute la puissance requise, quitte à les fausser quelque peu pour mieux assurer son empire, n'avait sa pleine efficience que dans le cadre du système des modes majeur et mineur. Dans ce sens, l'avènement du système a compensé sa conquête par l'abandon d'un immense territoire, celui des modes anciens, sur lequel la musique avait prospéré au cours des siècles. Il était fatal qu'une fois explorées toutes les possibilités offertes par le système à l'état pur les créateurs en vinssent tôt ou tard à ressentir l'étroitesse des barreaux entre lesquels il les avait enfermés. D'où la tentation de lui intégrer les anciens modes qu'il avait impitoyablement sacrifiés, en leur appliquant tant bien que mal les procédés d'écriture qui lui sont propres. Il y avait déjà là le germe, sinon d'une désagrégation, du moins d'un certain démantèlement de ces assemblages que maintenaient fortement verrouillés des forces, assimilables à un magnétisme, non toujours applicables dans toutes les combinaisons modales.

Claude Debussy - crédits : Henri Manuel/ Hulton Archive/ Getty Images

Claude Debussy

Cette réintroduction des modes a commencé d'assez bonne heure, mais de façon d'abord un peu équivoque, comme c'est le cas du deuxième mouvement, Action de grâce, en mode lydien, du Quinzième Quatuor de Beethoven. Avec Berlioz (Requiem, Enfance du Christ, entre autres), différents modes apparaissent avec une accommodation harmonique qui n'a pas peu contribué à lui faire valoir les foudres des tenants de la tradition académique. Chopin emploie déjà sporadiquement des modes chromatiques d'origine orientale, ce qui est évidemment une atteinte au diatonisme fondamental du système tonal. À partir de Debussy, les modes anciens refleurissent de toutes parts, mode de , mode de fa, mode de la sans la note sensible, sans oublier certains modes d'Extrême-Orient (javanais, chinois, balinais) dits pentatoniques parce que réduits à cinq sons (gammes défectives). Debussy va plus loin encore en systématisant (nous ne disons pas en inventant) une échelle nouvelle de six sons (et non plus de cinq ou de sept) équidistants. C'est-à-dire, en somme, qu'il divise l'octave en six intervalles égaux de un ton, ce qui est la démultiplication de la gamme chromatique de douze sons (cf. harmonie, fig. 5, no 1) ; cette échelle ne peut se transposer qu'une seule fois en la faisant partir de do dièse (ou bémol), après quoi, on retombe automatiquement dans les mêmes notes. Il va de soi qu'avec la gamme par tons on n'est plus dans aucune tonalité,[...]

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Écrit par

  • : compositeur de musique, ancien directeur de la musique et du programme national de la Radiodiffusion française

Classification

Pour citer cet article

Henry BARRAUD. TONAL SYSTÈME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Le retard - crédits : Encyclopædia Universalis France

Le retard

Modulations aux tons éloignés (1) - crédits : Encyclopædia Universalis France

Modulations aux tons éloignés (1)

Modulations aux tons éloignés (2) - crédits : Encyclopædia Universalis France

Modulations aux tons éloignés (2)

Autres références

  • ATONALITÉ

    • Écrit par Juliette GARRIGUES, Michel PHILIPPOT
    • 4 382 mots
    • 9 médias

    C'est dans les premières années du xxe siècle, et surtout à partir de 1912 (année de la première audition du Pierrot lunaire d'Arnold Schönberg), que l'on commença à parler de musique « atonale » et, par extension, de ce qui devait être considéré, à tort, comme une technique...

  • CHROMATISME, musique

    • Écrit par Alain FÉRON
    • 929 mots

    En musique, le terme « chromatisme » recouvre deux acceptions. La plus simple indique l'altération d'un demi-ton – vers le grave ou vers l'aigu – d'un degré diatonique ; dans ce cas, le chromatisme implique l'adoption d'une échelle de référence, l'échelle heptatonique naturelle, dernier stade du diatonisme....

  • CONTINUITÉ, musique

    • Écrit par Alain FÉRON
    • 525 mots

    En musique, la notion de continuité s'appuie sur deux visions du temps qui peuvent apparaître contradictoires : dynamique dans la musique dite occidentale, statique en ce qui concerne les musiques orientales.

    Mais ce paradoxe n'est qu'apparent puisque la continuité est avant tout recherche d'...

  • FRAGMENT, littérature et musique

    • Écrit par Daniel CHARLES, Daniel OSTER
    • 9 372 mots
    • 2 médias
    À ne considérer que la musique tonale, il est clair que le déni du fragment s'appuie sur le postulat de l'irréversibilité du temps. Heinrich Schenker, montrant la convergence vers la tonique, c'est-à-dire vers le « bas », de l'ensemble des champs linéaires que dessine l'articulation d'une...
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