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SOCIÉTÉ

De l'origine de la société

La question du commencement

L'objet étudié par le sociologue, que ce soit un système de relations, un groupe ou même une société globale, est construit à partir d'un horizon qui, pour n'être pas précisément dessiné ni peut-être même aperçu, n'en est pas moins la condition transcendantale de sa constitution. Et c'est cet horizon que vise la question : « Qu'est-ce que la société ? » Éluder cette question ou, ce qui revient au même, la réduire à une question de type positif, qui identifie la société à un ordre de réalité définissable sans ambiguïté et dans la pleine lumière du concept scientifique, est le symptôme d'un type d'occultation dont on aura à comprendre le sens.

L'interrogation sur la société se situe dans un registre où le discours vacille, où le mythe doit prendre la relève de la scientificité qui a échoué à y répondre. C'est de cela que prend acte la problématique des penseurs du droit naturel qui, au xviiie siècle, ont inventé la question du commencement, la question de l'origine, comme question sur l'essence du social, et auxquels Freud d'une certaine façon fait écho.

On a donné en partage à ces penseurs – depuis l'avènement de la sociologie et le développement de l'idéologie marxiste – une ignorance, où ils seraient restés, des lois positives qui régissent la société, ainsi qu'une surévaluation du sujet philosophique qui instituerait, dans un acte libre, la communauté. Mais cette façon de concevoir leur apport se modifie singulièrement dès que l'on considère que l'approche sociologique occulte la question de l'institution du sens, au profit d'une illusion réaliste, car il s'agit là d'une occultation du politique, réduit, par la sociologie, à la politique, c'est-à-dire à un ensemble de pratiques qui ne peuvent se comprendre qu'en référence à ce qui les fonde et qui précisément le désigne. Cette vacillation du discours qui parle des origines de la société est semblable à celle du langage lorsqu'il veut rendre compte de son propre surgissement. Comment le langage pourrait-il dire le monde muet qui l'aurait précédé ? Comment pourrait-il signifier l'intrusion du sens sans renvoyer à l'existence d'un autre lieu du sens – Dieu par exemple – qui, de toute éternité, expliquerait, sans rien expliquer d'ailleurs, l'avènement humain du sens par un effet de délégation ? Comment pourrait-il dire le monde des êtres solitaires et séparés qui aurait précédé la rencontre et l'alliance ?

La question du commencement semble nous signifier que l'on s'est toujours, pour en parler, levés trop tard, comme la philosophie, dont Hegel disait que, oiseau de Minerve, elle ne se lève que la nuit. La pensée ne vient que le dimanche, quand l'œuvre d'un faire obscur est achevée.

Le discours sociologique peut, fantasmatiquement, se persuader d'un achèvement possible et croire dire le vrai du social dans sa clôture ; il n'en reste pas moins que tout discours n'existe que dans cet écart par quoi le symbolique est impossible à rejoindre dans aucune parole. C'est ce qu'écrit Claude Lefort : « Il n'est pas de discours du symbolique et le discours est en exclusion à cet impossible discours du symbolique. Le discours se déploie à partir de l'impossibilité d'être déploiement du symbolique, faute d'être ce déploiement. Dans l'accès des hommes à la dimension symbolique du social leur est signifiée l'impossibilité de rejoindre le symbolique dans leur parole. »

Ce sera peut-être la fonction du « roman des origines » que de pallier le manque à dire. Toute société se pense à partir du mythe de son origine et de l'idée que ce mythe n'est pas une histoire morte rapportée[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite, université de Paris-V-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

André AKOUN. SOCIÉTÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANOMIE

    • Écrit par Raymond BOUDON
    • 4 002 mots
    • 1 média
    ...travail et le premier chapitre de ce livre à la division du travail anomique. L'idée générale de la théorie de Durkheim consiste dans l'affirmation que les sociétés évoluent d'un type de solidarité mécanique à un type de solidarité organique. Dans le premier cas, les éléments qui composent la société sont...
  • ANTHROPOLOGIE

    • Écrit par Élisabeth COPET-ROUGIER, Christian GHASARIAN
    • 16 158 mots
    • 1 média
    ...reconnu leur dette vis-à-vis de Durkheim : ce qui importe, ce sont moins les traits particuliers d'une culture que la fonction qu'ils remplissent dans la société. La culture renvoyant aux coutumes ou aux productions, et la société aux relations sociales, E. E. Evans-Pritchard illustre ainsi la fameuse...
  • ANTHROPOLOGIE ANARCHISTE

    • Écrit par Jean-Paul DEMOULE
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    L’anarchie en tant que pensée politique émergea vers le milieu du xixe siècle, en même temps que l’anthropologie sociale (ou ethnologie), laquelle fut d’abord livresque, avant de se pratiquer sur le terrain à partir de la fin du même siècle. Pourtant, ces deux domaines, malgré quelques pionniers,...

  • NUMÉRIQUE, anthropologie

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    Alors que les micro-ordinateurs remontent aux années 1970 et l’essor d’Internet aux années 1990, c’est au cours de la décennie suivante que l’anthropologie du numérique acquiert sa légitimité au sein de la discipline. Contrairement aux essais sur la « révolution numérique » qui spéculent sur la rupture...

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