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SAHUL

On pourrait s'étonner de voir associer la Nouvelle-Guinée à l'ensemble Australie-Tasmanie. Ici, en effet, un monde de chasseurs et cueilleurs, là, une population qui pratique l'horticulture et l'élevage. Néanmoins, ces deux îles et ce continent ont en commun de se distinguer linguistiquement du monde austronésien (en dehors des enclaves mélanésiennes en Nouvelle-Guinée) et leur préhistoire récente en diffère. Ils ont également en commun les anciens temps de leur préhistoire.

La préhistoire du continent sahulien

Sunda et Sahul pendant le maximum glaciaire - crédits : Encyclopædia Universalis France

Sunda et Sahul pendant le maximum glaciaire

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Sahul est le nom de la plate-forme continentale située entre la Nouvelle-Guinée et l'Australie, sous les mers de Timor et d'Arafoura ; c'est une partie de l'ancien bouclier australien. Pendant les grandes régressions marines consécutives aux glaciations du Quaternaire, cette plate-forme, émergée, réunissait la Nouvelle-Guinée et l'Australie, se poursuivait à l'ouest et au sud de l'Australie, et englobait la Tasmanie. L'ensemble est appelé le continent de Sahul : ces mêmes régressions réunissaient alors à l'Asie les îles indonésiennes jusqu'à la ligne de Wallace, en formant ainsi un second ensemble continental appelé Sunda, du nom d'une autre plate-forme située à l'ouest de Bornéo. Les îles indonésiennes, plus orientales, séparées par des fonds marins plus importants, constituaient encore un archipel : la Wallacéa, entre les continents de Sahul et de Sunda. Cette séparation maritime entre l'Asie et l'Australie, très ancienne, remonte à l'époque primaire. Elle explique l'absence de mammifères placentaires sur le continent « sahulien » et la seule présence des marsupiaux et des monotrèmes. Le pithécanthrope, cet archanthrope qui atteignit Java, à l'extrémité orientale du continent de Sunda, ne put lui-même, apparemment, coloniser la Wallacéa. C'est aussi pour ces raisons qu'on n'imaginait pas, jadis, que l'homme ait pu coloniser l'Australie en des temps très anciens. En effet, il lui aurait fallu savoir naviguer en haute mer pour aller, d'île en île, de l'Asie à l'Australie, et la navigation, dans l'histoire du monde, était considérée comme récente, ne remontant pas au-delà du Néolithique. On pensa donc, et pendant longtemps, que les Australiens étaient arrivés depuis peu de temps en Australie et que leur culture, jadis considérée comme des plus primitives, n'avait pas évolué jusqu'à nos jours.

Dans les années 1940, cependant, la découverte d'un Homo sapiens fossile à Keilor, près de Melbourne, fit supposer, compte tenu de sa situation stratigraphique, qu'il datait de l'interglaciaire qui sépara Riss et Würm entre 300000 et 200000 avant notre ère. Cette ancienneté le faisait contemporain des paléanthropiens asiatiques (on sait, depuis, que ce fossile ne date que de 13 000 ans). On s'était, en effet, habitué, depuis la publication de Hale et Tundale en 1930, à considérer que la préhistoire australienne avait été longue et marquée, comme dans le monde occidental, par une succession d'étapes culturelles allant de l'instrument de pierre le plus grossier à la petite pointe foliacée la plus finement retouchée et au microlithe. Après la Seconde Guerre mondiale, des fouilles plus nombreuses et des datations absolues par la méthode du carbone 14 permirent d'établir une chronologie de la préhistoire australienne, qui resta valable jusqu'au début des années quatre-vingt. Elle concernait surtout l'Australie du Sud, la plus étudiée, très peu la Tasmanie et pas du tout la Nouvelle-Guinée. Cette chronologie distinguait trois périodes principales : ancienne, moyenne et récente ; chacune d'elles étant subdivisée en sous-périodes, selon la présence, ou la dominance, de tel ou tel outil considéré comme fossile directeur :

– cultures anciennes (16000 à 3000 av. J.-C. : Kartien, Gambérien et Tartangien, soit une industrie lithique sur galets – choppers, chopping-tools, gros éclats et grattoirs nucléiformes ;

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– cultures moyennes (3000 à 2000 av. J.-C. : Pirrien, Mudukien, et Bondéien, à savoir un outillage sur lames finement retouchées et souvent par pression et microlithes géométriques – pointes Pirri, foliacées et à retouches unifaciales, pointes de Bondi (à dos abattu), pointes foliacées à retouches bifaciales, parfois finement denticulées et dites pointes de Kimberley ;

– culture récente (depuis 2000 av. J.-C.), dans laquelle, à l'outillage précédent, s'ajoutent de grands éclats à tranchant poli et qui pouvaient servir de haches ou d'herminettes.

On s'expliquait généralement cette évolution de la culture matérielle par l'arrivée successive de populations d'origine et de race différentes, la plus ancienne ayant été refoulée en Tasmanie, là où l'on trouvait l'outillage grossier de la première période. On ne croit plus, aujourd'hui, à ces multiples migrations raciales et les différences observées dans le physique des aborigènes héritiers d'un même phénotype sont expliquées, entre autres, par des dérives génétiques et par une nécessaire et continuelle adaptation aux différents milieux naturels qui se sont succédé dans le temps et l'espace, depuis au moins 40 000 ans de présence humaine en Australie. L'antiquité de cette présence est l'une des découvertes importantes de ces dernières décennies. Depuis 1968, en effet, des recherches ont été effectuées au voisinage des anciens lacs de la région de Broken Hill, asséchés depuis la dernière période glaciaire, mais qui, au Pléistocène, étaient drainés par la rivière Murray et par ses affluents. Les sites découverts sont datés de 32 750 ans ± 1 250 B.P. (before present, c'est-à-dire 1950, année où les premières datations au carbone 14 ont été réalisées) pour le lac Mungo et de 27 700 ans ± 700 B.P. (lac Menindee). C'est également à Mungo que fut découverte la sépulture d'une jeune femme, inhumée après avoir été partiellement incinérée. Ce plus ancien fossile humain a été daté de 25 000 ans environ. Par sa morphologie, il s'agit d'un Homo sapiens sapiens peu différent des aborigènes contemporains. Des dizaines de sépultures ont également été mises au jour, depuis 1971, près d'un autre ancien lac : Kow Swamp, à 400 kilomètres au sud de Mungo. Ces fossiles sont datés de 10 000 à 8 000 B.P. L'étonnant est qu'ils montrent tous des traits quelque peu archaïques (visière sus-orbitaire, chignon occipital, prognathisme), contrairement au fossile de Mungo, beaucoup plus ancien. Plusieurs autres fossiles de même aspect ont été également trouvés dans divers sites du sud de l'Australie, tels Cohuna, Mossgiel et Nitchie. Différentes hypothèses ont été avancées concernant ces deux groupes de fossiles : celle d'une immigration plus tardive d'individus morphologiquement plus archaïques que ceux de Mungo ou de Keilor est peu satisfaisante, de même que celle d'une mutation locale et tardive. Certains chercheurs ont pensé que chacun de ces deux groupes était à rapprocher, l'un de l' homme de Ngandong, l'autre de l'homme de Wadjak, ces fossiles exhumés à Java témoignant d'une évolution des paléanthropiens vers les néanthropiens. L'homme de Ngandong pourrait être l'ancêtre de ceux de Kow Swamp, et celui de Wadjak, l'ancêtre des fossiles de Mungo. De nombreux autres fossiles ont été depuis lors mis au jour et l'on pense aujourd'hui qu'il ne s'agit pas de ces deux types d'hominiens différents (et, ici, dans une situation chronologique inversée : les plus archaïques étant les plus récents !), que tous ont certes des caractères morphologiques différents mais qui ne s'écartent guère, en fait, de ceux des aborigènes modernes, eux-mêmes très variés. Quant à la face fuyante des plus « archaïques », elle pourrait être due, selon l'anthropologue P. Brown, à des déformations artificielles du même genre que celles qui étaient encore pratiquées dans la péninsule du Cap York à la fin du xixe siècle.

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Quoi qu'il en soit de ces problèmes anthropologiques, on sait au moins que tous ces anciens aborigènes en étaient au même stade technique, depuis le premier peuplement jusqu'au VIIIe millénaire avant notre ère, quel que soit leur aspect physique et que ce peuplement date de plus de 40 000 ans au nord comme au sud. Les préhistoriens ont, en effet, abandonné les subdivisions proposées autrefois pour la période ancienne, après avoir remarqué que l'outillage était typologiquement homogène dans l'ensemble de cette longue période dénommée « Core tool and scraper tradition » (« outils nucléiformes et éclats à peine retouchés »), et qu'il variait seulement en nombre dans sa composition et en poids, selon la nature des roches localement disponibles. Ces variations régionales sont constantes, ce qui pourrait signifier que les aborigènes de la période ancienne avaient peu de relations d'un territoire à un autre (il en sera autrement à la période plus récente et qui commencera au début de l'Holocène). Un nouvel outillage s'ajoute vers 20 000 B.P., ou plus tôt, aux galets aménagés, aux grattoirs nucléiformes et aux éclats. Il s'agit de grandes lames à enlèvements bifaciaux et à échancrures latéro-mésiales. Ces échancrures étaient probablement des dispositifs d'emmanchement. (De tels objets ont été datés de 26 000 B.P. en Nouvelle-Guinée.) Il en est de même des gorges taillées sur une partie de la zone proximale d'outils qui semblent être des têtes de massue façonnées par piquetage. Assez étonnante aussi est l'existence, à la même époque, de grandes lames au tranchant poli et qui pouvaient servir de haches ou d'herminettes. On en avait fait, nous l'avons vu, le fossile directeur de la dernière période de la préhistoire australienne. Ils y étaient jadis considérés comme récents (4 000 B.P.), du fait de la présence de surfaces polies, et comme l'un des fossiles directeurs du Hoabinhien. Ainsi, les aborigènes de Sahul pourraient être, avec les plus anciens habitants du Japon, les premiers au monde à avoir inventé le polissage de la pierre. Il serait d'ailleurs hasardeux, en considérant l'aspect fruste des anciens outils, de déduire que l'intellect de leurs auteurs l'était également et qu'ils ne devaient pas avoir de préoccupations esthétiques ou religieuses. Celles-ci pouvaient se manifester sur des matériaux périssables. On sait, au moins, qu'ils utilisaient l'ocre rouge et se paraient de colliers. Ils enterraient leurs morts dans différentes positions (certains ayant été préalablement incinérés) ; les morts étaient parfois accompagnés d'un mobilier funéraire. Enfin, l' art pariétal existait déjà. Le site le plus ancien naguère connu (20 000 B.P. au moins) était celui de la grotte de Koonalda, au sud de l'Australie méridionale. Loin à l'intérieur de cette grotte, et en pleine obscurité, se trouvent deux grands ensembles de rainures, les unes tracées avec les doigts sur une paroi tendre, les autres gravées sur un support plus dur. Plus récemment, en 1995, ont été mis au jour, en Terre d'Arnhem, des vestiges d'art rupestre (des cupules gravées), datés de 75 000 ans, datation qui, cependant, reste encore à confirmer.

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne

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