Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ROSSELLINI ROBERTO (1906-1977)

« Il y a, d'une part, le cinéma italien, de l'autre Roberto Rossellini », écrivait naguère Jacques Rivette, pour bien marquer à quel point l'auteur de Voyage en Italie doit être distingué des autres cinéastes de son pays, situé en marge de l'école néoréaliste dont il fut pourtant l'un des pionniers. L'important, dit en substance Rossellini dans ses films, n'est pas d'être prêtre, soldat, homme du monde ou mendiant, ni certes d'avoir bonne ou mauvaise conscience de l'être, mais d'assumer sa condition, et son comportement envers autrui, avec le maximum de générosité et de dignité ; là est la liberté, et là seulement. L'important, ce n'est peut-être pas la force de l'homme, mais plutôt sa faiblesse, les risques d'échec qu'il encourt et parvient à surmonter par ce qu'il faut bien appeler un sursaut d'héroïsme. Toute l'attention du cinéaste doit aller à capter ce moment-là, le moment où l'homme doute et se relève.

Au-delà du néoréalisme

<em>Paisà</em>, R. Rossellini - crédits : OFI-FPP/ Everett Collection/ Bridgeman Images

Paisà, R. Rossellini

Rome, ville ouverte (Roma, città aperta, 1945) et Païsa (1946) sont unanimement considérés, aujourd'hui, comme des « films clés », dont le retentissement au lendemain de la Libération fut énorme : on possède peu de témoignages aussi poignants sur la souffrance d'un peuple, et où celle-ci soit plus sobrement représentée, tout en laissant apparaître, au cœur même de l'événement, une authentique dimension spirituelle. Mais, très vite, Rossellini abandonna les sujets à contenu exclusivement social pour se tourner vers des genres moins populaires tels que la comédie satirique : La Macchina ammazacattivi (1948, La Machine à tuer les méchants) et Où est la liberté ? (Dov'è la libertà ? 1952), le fabliau médiéval : Onze Fioretti de François d'Assise (Francesco, giullare di Dio, 1950), voire l'opéra à grand spectacle : Jeanne au bûcher (Giovanna d'Arco al rogo, 1954) d'après l'oratorio de Claudel et Honegger. Sa rencontre avec Ingrid Bergman lui inspire des scénarios dans lesquels l'autobiographie, intelligemment transposée, entre pour une large part : tel est le cas de Stromboli (Stromboli, terra di Dio, 1949). En 1958, il rapporte d'un voyage aux Indes un simple et passionnant, carnet de route filmé. S'il arrive donc que les préoccupations du cinéaste recoupent parfois celles de son temps, ou de la mode, bien plus fréquemment elles s'en éloignent quand elles n'expriment pas ses émotions du moment, au point de paraître anachroniques. On s'aperçoit alors, en considérant ces films méconnus, que Rossellini était en définitive un auteur tout à fait insolite, baroque même par endroits. Ce prétendu cinéaste réaliste dissimulait un poète des plus singuliers.

Qu'était, d'ailleurs, le « néoréalisme » pour lui ? Nullement ce qu'il fut pour nombre de réalisateurs de sa génération (ou de la suivante) : l'étalage, parfois complaisant, des plaies ou des séquelles de la guerre, de la décadence de tel milieu social, du mal de vivre avec son temps ou ses préjugés, étalage destiné à provoquer chez le spectateur une certaine prise de conscience des problèmes de l'heure. Rossellini n'a rien d'un philosophe misérabiliste. Ce qui l'intéresse, c'est d'abord l'approche morale de certains êtres d'exception, de déclassés, que la corruption ambiante a laissé intacts, d'illuminés au sens poétique du terme, que leur vocation spirituelle préoccupe davantage qu'une idéologie passagère. Ces individus hors du commun, ces héros, ces saints parfois (des saints sans auréole, décrits dans leur comportement quotidien), ce sont entre autres : le prêtre de Rome, ville ouverte, marchant calmement à la mort ; la pauvresse du Miracle (Il Miracolo, 1948), moquée par tout[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur émérite à l'université de Paris-I, historien du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Claude BEYLIE. ROSSELLINI ROBERTO (1906-1977) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<em>Paisà</em>, R. Rossellini - crédits : OFI-FPP/ Everett Collection/ Bridgeman Images

Paisà, R. Rossellini

Autres références

  • ROME, VILLE OUVERTE, film de Roberto Rossellini

    • Écrit par Jacques AUMONT
    • 936 mots

    Fils de famille sans fortune, amateur de voitures, père de famille(s), Roberto Rossellini (1906-1977) est une figure inclassable dans les genres et les périodes du cinéma. Ses trois films de guerre : Le Navire blanc (La nave bianca, 1941), Un pilote revient (Un pilota ritorna, 1942), L'Homme à la...

  • ROME VILLE OUVERTE (R. Rossellini)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 236 mots

    En 1942, Luchino Visconti avait montré la voie en tournant Ossessione en décors naturels. Mais, avec Rome ville ouverte, les spectateurs du premier festival de Cannes, en 1946, découvrent un film, une esthétique, une attitude « morale » devant la vie et le cinéma qui vont bouleverser, entre autres,...

  • AMIDEI SERGIO (1904-1981)

    • Écrit par Gérard LEGRAND
    • 554 mots

    Nous évaluons assez mal en France les mécanismes de la production cinématographique italienne, peu structurée de façon durable, notamment en ce qui concerne la place des scénaristes et surtout celle des soggiotori (« créateurs de sujets ») dont il n'y a guère d'équivalents ailleurs. Sergio Amidei...

  • BERGMAN INGRID (1915-1982)

    • Écrit par Hubert HARDT
    • 981 mots
    • 4 médias
    ...s'échappe tôt, glacée par la peur qui régnait dans les studios nazis –, puis son envol vers Hollywood (en 1939). Plus tard, elle va découvrir en Roberto Rossellini l'inspirateur. En fait, la période italienne (1949-1956), qui s'avéra pour elle décisive, et créatrice autant de sa personnalité que de son...
  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    Pour Roberto Rossellini, le néo-réalisme doit se fonder, non pas sur une interprétation de l'histoire, mais sur une attention aux faits, une vision globale des événements, sans préjugé : « Si vous avez une idée préconçue, dit-il, vous faites la démonstration d'une thèse. C'est la violation de la vérité....
  • CINÉMA (Réalisation d'un film) - Mise en scène

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 4 776 mots
    • 10 médias
    ...la lumière naturelle à peine corrigée, mélange d'acteurs non professionnels et professionnels, etc. Un état d'esprit résumé par une célèbre phrase de Roberto Rossellini : « Les choses sont là, pourquoi les manipuler ? » Pas plus que De Sica ou Visconti, Rossellini ne croit à une vérité absolue qu'il...
  • Afficher les 11 références

Voir aussi