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VISCONTI LUCHINO (1906-1976)

Luchino Visconti, comme l'a bien vu Gilles Deleuze, est un « cinéaste du temps », et son œuvre une irrémédiable recherche du temps perdu. Lecteur passionné de Marcel Proust ou de Thomas Mann, qui surent faire rimer autour du couple de mots adolescent-convalescent une partie de leur œuvre, il a uni les contraires, que ce soit le dialecte des pêcheurs siciliens avec la beauté chorale de la tragédie grecque dans La terre tremble (1948), ou bien le trauma des camps d'extermination nazis avec la disparition d'un monde de tradition familiale et de culture, comme dans Vaghe stelle dell'Orsa (Sandra, 1965). « Cinéaste aussi célèbre qu'inconnu », écrivait Serge Daney, Visconti offre « l'un des styles les plus hermétiques de l'histoire du cinéma ».

Apories critiques

Luchino Visconti et Romy Schneider - crédits : Farabola/ Leemage/ Bridgeman Images

Luchino Visconti et Romy Schneider

Né en 1906, dans une grande famille de la noblesse milanaise, Luchino Visconti rencontre Jean Renoir en France au moment du Front populaire et devient son assistant pour Les Bas-Fonds (1937), après avoir créé les costumes d'Une partie de campagne (1936). Au même moment, Coco Chanel le présente à Jean Cocteau. En Italie, il se lie avec le groupe d'intellectuels communistes animant la revue Cinema et, à partir de 1943, soutient des actions de résistance. Il réalise Ossessione, son premier long métrage, en 1942, après avoir été tenté par la littérature. Ce tard venu à la réalisation de films est aussi, dès 1945, un grand metteur en scène de théâtre puis d'opéra, notamment à partir de 1954 avec La Vestale de Spontini, début d'une étroite collaboration avec Maria Callas. Visconti est auréolé de l'histoire de sa famille qui croise celle de son pays comme celle de la culture italienne et européenne.

<em>Le Guépard</em>, L. Visconti - crédits :  Titanus/ Pathé Cinéma/ SGC/ Screen Prod/ Photononstop

Le Guépard, L. Visconti

Au fil des décennies, la réception critique des films de Visconti s'est polarisée en Europe sur une série de termes « opposés ». Au couple de mots (communiste et aristocratique) qui désignent l'homme, furent associés ceux qui concernent un style (néo-réaliste et décadent) ou des sujets (actualités sociales et fresques historiques), la thématique renvoyant à des positions du cinéaste : par exemple, dans Le Guépard (1963), l'attitude politique du prince Salina illustrerait une conception personnelle de Visconti. Cette manière réductrice d'analyser les films a trouvé récemment un succédané aux États-Unis à travers des considérations sur l'homosexualité.

Burt Lancaster dans <it>Le Guépard</it>, de L. Visconti, 1963 - crédits : Keystone/ Moviepix/ Getty Images

Burt Lancaster dans Le Guépard, de L. Visconti, 1963

À ce schématisme critique a correspondu une périodisation succincte opposant un « premier » Visconti à un « second ». Ainsi fut-il admis qu'après l'époque néo-réaliste, Le Guépard marquait une rupture et instaurait une esthétique décadente dans l'œuvre de Visconti. C'était oublier qu'après Senso (1954), film coûteux et en couleurs sur le Risorgimento, le cinéaste avait réalisé Les Nuits blanches (1957), en noir et blanc, avec un budget modeste ; Sandra (1965), de même, succède au Guépard. Inspirées d'un court roman de Dostoïevski, Les Nuits blanches, œuvre si délibérément ouverte et subtilement désabusée, furent tenues tantôt pour une erreur de parcours, tantôt pour le produit de contraintes économiques. Une autre attitude n'accorde d'intérêt qu'aux premiers films, d'Ossessione à Senso.

Dans l'histoire du cinéma, Visconti n'a pas fait école. On a pu envisager sa place de deux manières. L'une, dominante aujourd'hui, en fait un cinéaste classique dont l'abondance des références culturelles provoque l'agacement. Influencé par les grands maîtres de la littérature, de la musique ou de la peinture, Visconti apparaît comme leur héritier. Son classicisme a pu se concevoir comme le prolongement d'une alliance du sens et de l'image que la modernité conteste. L'autre façon d'envisager l'art viscontien, plus ancienne, trouve son origine dans les discours critiques de l'après-guerre qui font de[...]

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Pour citer cet article

Suzanne LIANDRAT-GUIGUES. VISCONTI LUCHINO (1906-1976) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Luchino Visconti et Romy Schneider - crédits : Farabola/ Leemage/ Bridgeman Images

Luchino Visconti et Romy Schneider

<em>Dommage qu'elle soit une putain</em> de J. Ford, mise en scène de Luchino Visconti - crédits : Keystone-France/ Gamma-Keystone/ Getty Images

Dommage qu'elle soit une putain de J. Ford, mise en scène de Luchino Visconti

<em>Le Guépard</em>, L. Visconti - crédits :  Titanus/ Pathé Cinéma/ SGC/ Screen Prod/ Photononstop

Le Guépard, L. Visconti

Autres références

  • LE GUÉPARD, film de Luchino Visconti

    • Écrit par Michel CHION
    • 1 191 mots
    • 2 médias

    Après le superbe mélodrame social Rocco et ses frères (Rocco i sui fratelli, 1960), et presque dix ans après Senso (1954), qui se déroule dans la Venise de 1866 en guerre avec l'Autriche, Luchino Visconti (1906-1976) renoue avec l'histoire en adaptant l'unique roman, publié en 1958, de l'aristocrate...

  • BOSÈ LUCIA (1931-2020)

    • Écrit par René MARX
    • 623 mots
    • 1 média

    Issue d’une famille pauvre de fermiers de Lombardie, Lucia Bosè est née Lucia Borloni le 28 janvier 1931 à Milan. En 1946, Luchino Visconti, entrant dans la célèbre pâtisserie Galli de la via Victor Hugo à Milan, est frappé par la beauté extraordinaire d’une vendeuse anonyme. Comme celle d’Alain...

  • CALLAS MARIA (1923-1977)

    • Écrit par Alain DUAULT
    • 1 370 mots
    • 2 médias
    ...ses pieds. En dépit de son caractère d'une indomptable exigence, les plus grands chefs, les plus grands metteurs en scène veulent travailler avec elle, Luchino Visconti entre autres, fasciné par sa voix autant que par son sens du geste. De leur rencontre naîtront – à la Scala de Milan – quelques-uns des...
  • CECCHI D'AMICO SUSO (1914-2010)

    • Écrit par Jean A. GILI
    • 906 mots

    Née à Rome, fille de l'écrivain et producteur Emilio Cecchi, belle-fille du critique littéraire Silvio D'Amico, Suso Cecchi D'Amico grandit dans un climat intellectuel stimulant, loin de l'endoctrinement fasciste. À la fin des années 1930, elle se lance dans le journalisme et commence à traduire des...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    Deux hommes vont représenter les deux tendances du néo-réalisme. Pour Luchino Visconti, qui est marxiste, le réalisme doit être une reconstitution, un choix, un essai d'explication sociale, un processus d'analyse conforme au matérialisme dialectique. Ossessione (1942) apparaît ainsi comme...
  • Afficher les 15 références

Voir aussi